La Chine planifie sa conquête des technologies émergentes avec une efficacité exceptionnelle. La fusion de la recherche entre civils et militaires permet une accélération des investissements et un positionnement conquérant sur la définition des normes, enjeu de la compétition internationale dominée par les États-Unis.
La Chine et les technologies émergentes
China and Emerging Technologies
China plans its conquest of emerging technologies with exceptional effectiveness. The merging of research in civilian and military sectors allows acceleration of investment and a winning position on definition of standards, a stake in international competition dominated by the United States.
La compétition dans l’espace indopacifique revêt de multiples dimensions, militaire, commerciale, mais aussi technologique et industrielle. Depuis la fin du XXe siècle, en effet, la Chine n’a cessé de progresser dans ce domaine, passant du rang de puissance secondaire – 8e pays en termes de PIB en 1995 – à celui de compétiteur majeur des États-Unis au XXIe siècle. Si le pivot américain vers le Pacifique a été annoncé dès les années 2000, rien n’a jusqu’ici été en mesure de freiner le développement de la Chine qui, d’atelier du monde, entend être dans les années à venir le laboratoire de R&D du monde. La compétition sino-américaine se déploie aujourd’hui sur l’ensemble de la palette des technologies depuis le numérique jusqu’au nucléaire ou aux biotechnologies. Toutefois, la Chine semble disposer d’atouts spécifiques dans cette compétition, comme en atteste son développement extrêmement rapide sur un certain nombre de segments, à commencer par l’intelligence artificielle (IA). En déployant sur toute la planète ses entreprises, dont les BATX (Baidu-Alibaba-Tencent-Xiaomi) et son influence normative, Pékin entend bien s’imposer comme le champion mondial de la technologie et, par-là, comme la puissance dominante de l’espace indopacifique aussi bien que du gigantesque ensemble géographique enserré dans les « nouvelles routes de la soie ».
Recherche et technologie, au cœur de la planification d’État
La Chine a hérité de l’URSS et du marxisme-léninisme une approche de l’économie fondée sur l’industrie et la planification. En témoignent, dans le domaine technologique, deux grands documents que sont les plans quinquennaux – principaux actes d’encadrement de l’ensemble de l’économie nationale – et les plans pour la science et la technologie. Alors que le 14e plan quinquennal a été lancé en 2021 pour la reconstruction économique post-Covid, il importe de considérer qu’il met en avant – comme les trois plans précédents – la nécessité pour la Chine de devenir un leader mondial dans un certain nombre de technologies, en particulier liées au domaine numérique (IA, informatique quantique, biotechnologies, etc.), mais aussi dans les technologies énergétiques émergentes, domaine dans lequel la Chine a depuis longtemps démontré son avance. Ces plans quinquennaux se reposent, dans le domaine technologique, sur les plans pour la science et la technologie qui sont eux orientés sur une perspective de moyen/long terme, d’ici à 2050 environ. Là encore, la Chine laisse entrevoir des ambitions globales, avec cette fois la volonté de s’affirmer comme la première puissance technologique mondiale dans à peu près tous les domaines. L’intérêt de ces plans est avant tout dans la continuité de la vision politico-technologique qu’ils permettent – chaque plan quinquennal étant souvent des approfondissements ou des réorientations limitées du plan précédent – mais aussi la polarisation des investissements sur des objectifs de moyen terme.
La 5G en quelque sorte est le fruit de cette planification étatique de long terme qui articule une économie fondée sur le capitalisme d’État avec une intégration des grandes entreprises dans la mondialisation. La capacité de Huawei à être la première entreprise à proposer la technologie 5G s’explique bien entendu par des facteurs endogènes à l’entreprise, mais surtout par une adéquation entre le modèle chinois et les questions d’infrastructures. Alors que les pays de l’espace euro-atlantique, France et États-Unis en tête, avaient été les pionniers des technologies de téléphonie numérique et mobile, le progressif abandon par la puissance publique des investissements dans le domaine des infrastructures et des protocoles – par essence coûteux et de développement long – au profit d’un investissement privé focalisé sur des secteurs bien plus rentables comme la valorisation des données, a entraîné une perte d’appétence très forte pour ce type de technologies qui représentent plus une structure de coût que de profit. Au contraire, le modèle chinois d’imbrication public-privé est moins orienté vers cette recherche du profit de court terme et a permis une continuité de l’investissement dans le domaine infrastructurel, permettant à Huawei de bénéficier d’un soutien constant.
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