La Grande stratégie américaine en Indo-Pacifique est en cours d’évolution et d’adaptation pour répondre aux menaces, notamment chinoises. La cyberdissuasion en est une des formes avec le développement d’infrastructures numériques résilientes au profit des partenaires de la région, alors que la concurrence y est forte.
Connectivité et cyberdissuasion : les atouts de la nouvelle Grande stratégie américaine en Indo-Pacifique ?
Connectivity and Cyber Deterrence: the Aces of the new American Grand Strategy in Indo-Pacific?
The American Grand Strategy in Indo-Pacific is evolving and adapting to take account of threats, and in particular those posed by China. Cyber deterrence is one element of the strategy, with the development of resilient digital infrastructures which benefit regional partners. Nevertheless, competition is strong.
Le Président Biden a mis en avant la centralité des enjeux stratégiques en Indo-Pacifique dans le contexte de rivalité de puissance avec l’hégémon chinois en tant que priorité de la décennie à venir qu’il estime décisive (1). L’alliance de nouvelle génération que représente l’AUKUS qui devrait favoriser « la dissuasion intégrée » et le recours aux outils cyber, la relance du dialogue de sécurité quadrilatéral du Quad, le renforcement des relations avec l’ASEAN (Association of Southeast Asian Nations), constituent le second volet de la nouvelle stratégie multidimensionnelle pour l’Indo-Pacifique pilotée par le Conseil de sécurité nationale de la Maison-Blanche (2). Ces cadres multilatéraux renforcés illustrent les velléités de l’Administration démocrate de la mise en œuvre d’une nouvelle Grande stratégie en Asie-Pacifique fondée sur tous les outils de la puissance (diplomatique, économique, militaire et technologique). Cette nouvelle stratégie se distingue en deux points des précédentes : d’abord en mettant l’accent sur la modernisation des partenariats stratégiques régionaux pour répondre aux menaces hybrides, ensuite en insistant sur la création d’une nouvelle architecture de coopération diplomatique et économique pour contrebalancer l’influence chinoise. Dans l’espace cyber, dans un contexte de compétition globale permanente avec la Chine, sur fond de course aux nouvelles technologies, quelles stratégies de dissuasion entendent mener les acteurs de défense américains pour réaffirmer la primauté américaine sur ce théâtre géostratégique crucial ? En quoi les investissements dans les infrastructures de qualité pour favoriser la connectivité constituent-ils les principaux atouts de ce réengagement américain en Asie-Pacifique et qu’elles en sont les limites ?
Stratégie et doctrine : l’arme cyberaméricaine
au service de la « dissuasion intégrée »
Les guerres numériques à l’œuvre dans la zone indo-pacifique ne nécessitent plus seulement l’affirmation de la souveraineté des États-Unis dans l’espace cyber alors que les infrastructures civiles et militaires sont menacées, elles nécessitent des coopérations avec l’ensemble des partenaires de la région. L’AUKUS, au-delà des transferts de technologies à propulsion nucléaire, a ouvert la voie à de nouvelles coopérations dans l’espace et le domaine cyber pour faire face aux menaces hybrides chinoises. « Nous avons parcouru un long chemin en peu de temps pour pouvoir intégrer les domaines spatial et cyber », déclarait l’amiral John Lung Aquilino, chef du Commandement indo-pacifique américain en mai dernier, en se félicitant par ailleurs que les nations partenaires, l’Australie en tête (3), contribuent à accélérer ce que le Pentagone appelle la « dissuasion intégrée », combinant tous les éléments de la puissance militaire des États-Unis et de ses alliés. L’affirmation d’une posture cyberoffensive pour les États-Unis et ses partenaires participe donc d’une stratégie de dissuasion élargie à l’endroit des principales puissances adversaires présentent dans la zone comme à l’échelle globale (Chine, mais aussi Russie, Corée du Nord et Iran). Dans une certaine mesure, elle contribue à la réassurance des puissances moyennes dont les infrastructures de défense sont particulièrement visées dans le cadre des conflits hybrides.
Le Pentagone a annoncé un budget renforcé de 6,1 milliards pour le programme de dissuasion américain dans le Pacifique, le PDI (Pacific Deterrence Initiative), pour investir dans le déploiement de forces et les infrastructures de qualité dont les infrastructures numériques. Très fortement inspiré du programme de l’EDI (European Deterrence Initiative), le PDI est un programme-clé de la dissuasion multidomaines portée par le Pentagone à l’encontre de la Chine. Les fonds demandés, pour l’exercice budgétaire 2023, sont estimés à 377,2 millions pour pallier les vulnérabilités en matière de cybersécurité et de guerre électronique (dans le cadre du Lower Tier Battle Space). À cela s’ajoutent les 898,6 millions de dollars alloués à l’Indopacom pour soutenir l’ensemble des activités cyber visant spécifiquement à sécuriser les données et les réseaux numériques au sein des infrastructures de défense (4). Le DoD prévoit d’intégrer l’AUKUS au PDI, ce qui pourrait conduire à des initiatives opérationnelles, navales mais pas seulement, avec le soutien de l’Australie et du Royaume-Uni, et par le biais d’accords renforcés avec le Japon, la Corée du Sud et les Philippines. Mais pour l’heure, l’essentiel des capacités et des orientations cyber dans la région est avant tout porté par les principaux acteurs de défense américains.
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