L’Indonésie s’efforce de maintenir un certain équilibre dans ses relations avec les grandes puissances, les États-Unis, la Chine et la Russie. L’objectif de Jakarta est surtout de renforcer son autonomie stratégique en modernisant à la fois sa défense, et en établissant des coopérations stables et durables.
Indonésie : l’intérêt d’une rivalité modérée entre les grandes puissances ?
Indonesia: the Interest of Reasonable Rivalry Between the Great Powers?
Indonesia makes great effort to maintain a reasonable balance in its relationships with the great powers, the United States, China and Russia. Jakarta’s aim is above all to reinforce its strategic autonomy through modernising its defence and establishing stable and lasting cooperation.
Par-delà les réactions contrastées de l’Asie du Sud-Est à l’AUKUS, le pacte trilatéral semble être un signal d’alarme pour l’ASEAN (Association of Southeast Asian Nations). Celle-ci prend en compte que sa centralité n’est pas assurée par défaut et qu’elle doit être plus proactive sur les questions de sécurité. La Malaisie et l’Indonésie ont prévenu que cet accord pourrait déclencher une course aux armements, compromettre la stabilité régionale et affaiblir le régime de non-prolifération nucléaire Sud-Est asiatique, nommé SEANWFZ (Southeast Asia Nuclear Weapon-Free Zone). Dans le même temps, le corps diplomatique indonésien a envoyé des signaux d’ouverture en manifestant qu’à ses yeux aucune norme internationale n’avait été violée et que des « conversations plus approfondies » sur AUKUS contribueraient à renforcer la confiance mutuelle et la diplomatie (ministère des Affaires étrangères de la république d’Indonésie, 2021). Cette double posture témoigne de la volonté du gouvernement indonésien de pondérer les visées hégémoniques de ses alliés tout en tirant profit d’une rivalité d’intensité modérée entre eux.
Le double positionnement de l’Indonésie face à l’AUKUS
Face à l’annonce du pacte de sécurité de l’AUKUS, la réaction des autorités indonésiennes n’a pas été unanime. Le ministère des Affaires étrangères a d’abord exprimé ses inquiétudes quant aux implications de l’acquisition par l’Australie de sous-marins à propulsion nucléaire pour « la poursuite de la course aux armements et la projection de puissance dans la région », qui menacerait la stabilité de la sécurité régionale (1). Le chef d’état-major de l’armée de l’air, le maréchal Fadjar Prasetyo, a appelé Canberra à maintenir son engagement en faveur de la paix et de la stabilité régionales (2). L’Indonésie a ensuite annulé une visite prévue du Premier ministre australien, Scott Morrison, en raison des retombées de l’accord. Par contraste, le ministre de la Défense, le général à la retraite Prabowo Subianto, qui fut l’interlocuteur clé de la diplomatie indonésienne avec les États-Unis durant les dernières années de la décennie 1990, a dit « comprendre » l’Australie, au cours d’une conférence du centre de réflexion sur la défense IISS à Bahrain : « La priorité de chaque pays est de protéger son intérêt national s’il se sent menacé. »
L’AUKUS n’est peut-être pas la panacée que les partenaires des États-Unis dans la région recherchaient, mais l’Indonésie souhaite que son allié outre-Pacifique reste engagé dans la région Asie-Pacifique. Par ailleurs, l’acquisition par l’Australie de sous-marins à propulsion nucléaire renforce la capacité de l’Indonésie à maintenir une concurrence active entre les États-Unis et la Chine, et à l’exploiter à son avantage. La surexposition de l’Australie permet également de faire contrepoids à la Chine en mer de Natuna. En outre, la rivalité entre les deux superpuissances permet à l’ASEAN de conserver son rôle tiers dans la région. Elle conditionne aussi pour partie la légitimité du traitement spécial accordé par la Chine à l’Indonésie grâce à de méga-investissements risqués. Ceux-ci répondent à l’objectif du Président indonésien, Joko « Jokowi » Widodo, d’affirmer le contrôle territorial du gouvernement central en investissant dans les régions reculées de l’archipel, de Sulawesi et Kalimantan à Sumatra Nord.
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