L’ASEAN, créée en 1967, se retrouve confrontée à l’AUKUS avec des approches distinctes quant à son rôle comme pivot central dans la région. Les relations entre les États-Unis et l’organisation régionale manquent encore de profondeur, tant sur le plan sécuritaire qu’économique et doivent être dès lors renforcées.
L’ASEAN face à l’AUKUS : dissensions, résilience et centralité
ASEAN Against AUKUS: Dissensions, Resilience and Centrality
ASEAN, which was founded in 1967, is now confronted by an AUKUS with a distinctly different approach to the role of regional pivot. Relations between the United States and the regional organisation continue to lack depth in both security and economic domains and must now be strengthened.
Depuis l’annonce de la création de l’AUKUS, il ne fait guère de doute pour les membres de l’ASEAN (Association of Southeast Asian Nations) (1) que ce nouveau partenariat stratégique trilatéral a pour but de contrer la montée en puissance chinoise, particulièrement en mer de Chine méridionale, espace du Sud-Est asiatique dans lequel Pékin est en conflit de souveraineté avec plusieurs membres de l’ASEAN (2). L’AUKUS, qui est, semble-t-il, destiné à compléter d’autres mécanismes régionaux portant sur les questions de sécurité et de défense, notamment le dialogue quadrilatéral pour la sécurité (Quad) et la réunion des ministres de la Défense de l’ASEAN plus (ADMM-Plus), suscite néanmoins des réactions contrastées et clivantes en Asie du Sud-Est, malgré les déclarations communes américaine et australienne rappelant leur volonté de voir l’ASEAN au centre d’une architecture sécuritaire régionale (3). Préoccupés par l’AUKUS, les membres de l’ASEAN n’hésitent pas à exprimer leurs craintes depuis le lancement de la nouvelle alliance sécuritaire. La Malaisie, qui tient au principe d’une Asie du Sud-Est en tant que zone de paix, de liberté et de neutralité, voit dans l’AUKUS une provocation légitimant l’agressivité des puissances dans la région, notamment en mer de Chine méridionale (4). Ce point de vue est partagé par l’Indonésie qui est préoccupée par la poursuite de la course aux armements et la projection de puissance dans la région (5). Toutefois, les préoccupations de ces deux nations ne sont pas nécessairement partagées par l’ensemble des membres de l’ASEAN. À ce titre, Singapour et les Philippines ont salué l’AUKUS en soulignant que l’alliance contribue de manière constructive à la paix et à la stabilité de la région tout en complétant l’architecture régionale (6). Cependant, les autres membres de l’ASEAN ont abordé la nouvelle avec plus de retenue. Quant au Vietnam, il s’est bien gardé de commenter le nouveau partenariat. Toujours est-il que l’AUKUS a mis en évidence l’incapacité de l’association à parler d’une seule voix, un phénomène récurrent dans la région.
Résilience ou « spectateur stratégique » ?
La crainte d’une course aux armements et de l’accélération d’une projection de puissance dans la région n’explique que partiellement la réponse mitigée de l’Asie du Sud-Est. Cette dernière découle également d’un sentiment partagé par plusieurs membres de l’ASEAN (et de nombreux observateurs internes et étrangers), celle d’une association de moins en moins pertinente, du moins en tant que bloc géographique et politique (7). Poussée par des perceptions de la menace et des intérêts géostratégiques différents, l’AUKUS a mis en évidence ce manque de cohésion. L’AUKUS est également symptomatique de la lutte de l’ASEAN pour maintenir l’ordre régional et ne pas devenir, comme le redoute l’Indonésie, un bloc « spectateur stratégique » de sa propre trajectoire sécuritaire (8). Bien entendu, l’ASEAN s’est développée dans un contexte précis, celui de la construction des États nationaux et de la guerre froide. Par conséquent, les plateformes de dialogue sur les questions de sécurité centrées sur l’ASEAN, telles que le l’ASEAN Regional Forum et le East Asia Summit ont privilégié l’instauration d’un climat de confiance et d’un dialogue constructif plutôt que des mécanismes de résolution de conflits, pourtant nombreux dans la région.
Cette approche n’a de toute évidence pas suffi à résoudre les problèmes de sécurité régionale, particulièrement les différends territoriaux en mer de Chine méridionale qui peuvent potentiellement restreindre la liberté de navigation dans une zone essentielle pour le commerce mondial. Les tensions en mer de Chine méridionale, vues depuis Washington comme insolubles, ont donc nécessité la création d’autres partenariats de sécurité tels que l’AUKUS et le Quad. Les États de l’Asie du Sud-Est risquent désormais de voir l’ASEAN reléguée au second plan au profit d’accords de sécurité pilotés de l’extérieur.
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