Les États-Unis ont eu longtemps des approches différenciées dans la région, sans être acteur reconnu à part entière dans les forums. Malgré une présence en Micronésie, Océanie et Indo-Pacifique, confronté à la concurrence chinoise, Washington doit relancer une politique ambitieuse et respectueuse des souverainetés régionales.
Les États-Unis s’affichent plus engagés en Océanie
The United States Shows Greater Commitment to Oceania
The United States has long had diverse approaches in the region without being recognised as an independent player in the various forums. Despite a presence in Micronesia, Oceania and the Indo-Pacific zone, now confronted by Chinese competition Washington needs to re-establish an ambitious policy that respects regional sovereignties.
Après avoir été longtemps « négligeant » vis-à-vis du Pacifique insulaire et devant l’influence croissante de la République populaire de Chine (RPC), les États-Unis tentent de rectifier leur politique. Trop tard ? Pas si sûr, mais à la condition que les États-Unis fassent preuve de doigté et d’humilité dans la mise en œuvre de politiques leur offrant de passer d’une empreinte régionale effacée à quelque chose de plus substantiel. Il leur faut admettre que le Pacifique n’est pas seulement un théâtre de compétition stratégique où les États océaniens ne sont que des pions pour contrer les ambitions de Pékin. Une agilité qui serait de bon aloi, car quoiqu’en disent la géographie et les souverainetés insulaires de Washington (Hawaï, Mariannes du Nord, Guam, Samoa américaines, atoll Palmyra et Monument national marin des îles éloignées du Pacifique), les États-Unis ne sont pas vraiment considérés par les États océaniens comme appartenant à la « famille Pacifique ». Ni eux-mêmes, ni leurs territoires ne sont des membres de plein exercice du Forum des îles du Pacifique (PIF – Pacific Islands Forum), l’arène où se forgent les positions et les consensus politiques régionaux.
Contrairement à la France pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, les territoires d’outre-mer américains n’ont pas été invités à se joindre pleinement au multilatéralisme océanien. Tout au plus, Guam et Saipan participent au Forum des îles de Micronésie (MIF – Micronesia Islands Forum), Pago Pago au Groupe des dirigeants polynésiens (PLG – Polynesian Leaders Group) et Honolulu accueille le Programme de développement des îles du Pacifique (PIDP – Pacific Islands Development Program). Dans le cas américain, à la différence de la plupart des autres États et territoires de la région, l’insertion sous-régionale de ses territoires ne s’est pas accompagnée d’une participation pleine et entière à la principale arène politique océanienne. Cette carence est un obstacle à la prise en compte d’une Océanie comme un tout, une collectivité ayant une identité et un projet politique propre, celui dit du « Continent du Pacifique Bleu » (1). Les États-Unis ont abordé le Pacifique, soit au travers d’un sous-régionalisme étriqué, lié principalement à ses possessions micronésiennes, soit par une acception ne prenant que marginalement en compte les États insulaires.
La Coopération économique pour l’Asie-Pacifique (APEC – Asia-Pacific Economic Cooperation) est emblématique de cette approche. Si les États borduriers à l’ouest et à l’est du Pacifique ont bien été associés, seuls 3 des 21 membres appartiennent au PIF (Australie, Nouvelle-Zélande, Papouasie-Nouvelle-Guinée). Autrement dit, le pilier Pacifique de la stratégie américaine de l’Indo-Pacifique ne repose pas sur le PIF, comme c’est le cas pour ses alliés australien et néo-zélandais, mais sur plusieurs étais. Le premier soutenant l’anglosphère. Mais après soixante et onze ans d’existence, le traité de l’ ANZUS (Australia, New Zealand, United States) s’est fragilisé du fait de la posture antinucléaire de Wellington, tandis que Londres tarde à retrouver une influence régionale réellement dimensionnante. Toutefois, la coopération Five Eyes en matière de renseignement demeure importante pour chacun. D’une certaine manière, l’accord tripartite AUKUS, adopté le 15 septembre 2021, a donné une nouvelle fraîcheur à l’affichage et à la mise en œuvre de convergences anglosphériques. Cependant, il a eu pour effet de renforcer les Océaniens dans l’idée que leur région (re)devient un théâtre potentiel d’affrontements et de jeux stratégiques. Ces derniers paraissent leur échapper d’autant qu’au pilier occidental de leur politique Pacifique, les Américains ont ajouté ceux des réunions en format Quad au plan politique depuis 2007 avec l’Australie, l’Inde et le Japon, sur le volet militaire avec la France, l’Australie et la Nouvelle-Zélande depuis 1992. Par ailleurs, la structuration des échanges de l’Otan avec l’AP4 (Australie, Corée, Japon, Nouvelle-Zélande) et l’émergence des Partenaires du Pacifique (2) accentuent plus encore le sentiment que le Pacifique est un sujet de préoccupations asio-occidentales et, en premier lieu, nippo-occidentales croissantes, les États-Unis cherchant à (re)fonder des alliances politico-militaires tournées contre la Chine. Non seulement les Océaniens ne sont pas associés de près ou de loin à des échanges à même de modifier leur environnement stratégique, mais ils apprennent a posteriori les plus sensibles d’entre eux (ex. AUKUS), obtenant tout juste ex- post des bribes d’explication par des missi dominici.
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