Les Guerres de l’information à l’ère du numérique
Les Guerres de l’information à l’ère du numérique
Longtemps restées absentes du champ académique français, les guerres de l’information ont consacré l’avènement du cyberespace en tant que nouveau terrain de conflictualité entre les États. Cet ouvrage, dirigé par Céline Marangé et Maud Quessard, se présente comme une synthèse multidisciplinaire des enjeux posés par la lutte informationnelle. Pour la plupart issus de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), chercheurs civils et militaires y livrent tour à tour leurs analyses concernant les évolutions stratégiques suscitées par la révolution numérique.
Articulé autour de quatre sections, le livre présente des chapitres thématiques et des contributions plus courtes, appelées « focus », et destinées à détailler un cas d’étude précis. Une première partie consacrée aux techniques et usages de l’information établit un distinguo entre les pratiques liées aux manipulations de l’information, telles que la propagande ou encore la désinformation, et les méthodes plus offensives, dont les cyberattaques et la section des câbles sous-marins. Au-delà de l’historicité du cyberespace, cette partie se démarque également par le caractère novateur des notions et des méthodologies mobilisées. On mentionnera ici la brillante cartographie de l’Internet russe présentée par Kevin Limonier (IFG), ainsi que les observations de Ben Nimmo (DFRLab) quant à l’amplification artificielle opérée par des comptes automatisés sur les réseaux sociaux. Les deuxième et troisième sections traitent du modus operandi informationnel des États autoritaires comme démocratiques. Cette approche nationale permet notamment de mettre en exergue la particularité des stratégies russes et chinoises tant sur le plan de la conceptualisation militaire que sur celui des intérêts poursuivis : le Kremlin calibre une partie significative de son influence informationnelle sur des médias d’influence « alternatifs » tandis que le Parti communiste chinois comble son retard grâce au recours à des forces « irrégulières » et de milices populaires. Traitée avec justesse par la contribution de Paul Charon (IRSEM), l’expérience taïwanaise érige l’île en laboratoire des opérations menées par Pékin. Désormais recensées en Occident et en Afrique, les opérations attribuées à la Chine révèlent par ailleurs un processus de mondialisation préoccupant. Gage d’exhaustivité de cet ouvrage, l’examen des stratégies informationnelles d’États souvent délaissés par ce champ académique, tels que la Corée du Nord, représente un apport précieux pour l’étude des guerres de l’information.
Défendant la libre circulation de l’information, les démocraties sont logiquement plus enclines à souffrir des manipulations informationnelles. Partant de ce constat, la plupart ont élaboré des réponses audacieuses pour favoriser leur résilience et garantir une cohésion nationale stable. Là où les États-Unis ont envisagé une militarisation offensive de leur diplomatie publique, l’approche israélienne conjugue une diplomatie publique relativement similaire (hasbara) à une stratégie de guerre cognitive. Ces réponses ne sont toutefois pas exemptes de faiblesses et, dans le cas étasunien, Maud Quessard détaille avec précision quelles ont été les vulnérabilités observées au lendemain des interférences russes de 2016. Véritable tournant pour l’architecture de défense américaine, elles dénotent un manque de coordination et de moyens financiers auquel s’ajoute une fragilité paradoxale des systèmes des infrastructures du pays face à leurs outils numériques, une fois ceux-ci accaparés par leurs adversaires. Une ultime section s’intéresse aux aspects sociologiques, juridiques et politiques que génèrent les guerres de l’information. À cet effet, Divina Frau-Meigs (CREW) explique de manière rigoureuse le rôle joué par les biais cognitifs émanant des manipulations informationnelles dans la construction d’un sentiment progressif de défiance généralisée. Des formats multilatéraux à la participation de la société civile, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer (IRSEM) propose enfin un état des lieux inédit des mesures pionnières prises par les pays occidentaux engagés dans la lutte informationnelle, à l’image des trois républiques baltes.
À un moment géopolitique charnière où les guerres de l’information battent leur plein, on ne saurait recommander assez la lecture de ce premier ouvrage francophone dédié à l’étude des acteurs, des pratiques et des réponses à ces phénomènes. Accessible à tout public, son contenu contribuera à sensibiliser une nouvelle génération de chercheurs aux dangers de l’information et du cyberespace tout en complétant les connaissances des praticiens. ♦