La Guerre chaude – Enjeux stratégiques du changement climatique
La Guerre chaude – Enjeux stratégiques du changement climatique
Le changement climatique et ses effets sont globalement connus du public, contrairement à ses implications sécuritaires et stratégiques. Sans être la cause reconnue de conflits à proprement parler, le dérèglement climatique amplifie les instabilités, aggrave les tensions et difficultés préexistantes, d’où l’émergence de la question de la sécurité climatique. Peu de sources francophones abordent la question de l’impact du changement climatique sur la sécurité humaine au sens large. Premier livre en français consacré aux enjeux stratégiques du changement climatique, La Guerre chaude fait donc figure d’ouvrage pionner en la matière.
Divisé en quatre parties (impacts stratégiques, zones vulnérables, développement durable et défi énergétique, agenda et acteurs internationaux), il constitue un apport indéniable à l’étude des conséquences du dérèglement climatique sur la sécurité humaine, le fonctionnement et les missions des forces armées. L’ouvrage, qui met en exergue les actions menées par les armées françaises et étrangères en faveur du climat depuis 1980, est paru dans un contexte très particulier, avant l’adoption de la Boussole stratégique de l’Union européenne (UE) et le Sommet de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) de Madrid en 2022. Sa publication s’inscrit ainsi dans un moment charnière de réflexion sur les évolutions stratégiques et géopolitiques futures.
La première partie de l’ouvrage décrit les principaux impacts stratégiques du change ment climatique au prisme de la diversité des menaces qui pèsent sur la sécurité humaine (militaires, sanitaires ou politiques). Les défis qu’il pose modifieront la nature des opérations militaires françaises, davantage tournées vers le secours humanitaire, la protection de l’environnement et les crises régionales. La gestion des catastrophes naturelles, plus intenses et nombreuses, nécessitera le renforcement de la coopération entre acteurs de la sécurité civile. Les risques liés au dérèglement climatique sont aussi sanitaires (risque de circulation de pathologies infectieuses). Si certaines approches comme la géo-ingénierie sont de plus en plus défendues pour lutter contre la hausse globale des températures, elles ne sont pas exemptes de dangers. En outre, l’épineuse question des migrations est traitée sous l’angle du changement climatique qui joue un rôle de catalyseur de crises migratoires et vient s’ajouter à des difficultés préexistantes.
Sont ensuite abordés, dans la deuxième partie, les impacts du changement climatique sur les régions les plus vulnérables. L’Arctique en est un exemple parlant : l’ouverture de nouvelles routes maritimes génère l’apparition d’un narratif d’Eldorado autour du continent, mais également des tensions très fortes qui devraient s’accroître dans les prochaines décennies. Le Sahel, région déjà secouée par d’importantes tensions, est particulièrement exposé aux effets du changement climatique avec une pression accrue sur la biodiversité, les ressources et les populations. La Méditerranée orientale fait face, quant à elle, à un stress hydrique aggravé par le changement climatique qui vient renforcer les instabilités politiques préexistantes. L’Asie du Sud-Est est, elle aussi, particulièrement vulnérable. Dans cette région très touchée par les catastrophes naturelles et à l’avenir inhabitable par endroits, les capacités civilo-militaires se révéleront sans doute insuffisantes. Enfin, diverses conséquences du dérèglement climatique sont déjà observées dans le Pacifique, telles que l’exposition aux épisodes climatiques extrêmes, l’insécurité alimentaire ou le renforcement de la surveillance maritime.
La troisième partie s’attache à analyser les mesures de protection de l’environnement et de la biodiversité mises en œuvre par les forces armées, et pose la question des moyens à la disposition du ministère des Armées pour réduire son empreinte carbone. Des plans d’action ambitieux ont été adoptés par l’UE et l’Otan pour répondre au défi énergétique. Leurs intérêts stratégiques étant comparables, le risque que la transition énergétique devienne un terrain de compétition entre elles est toutefois bien réel. Le ministère des Armées a lui aussi mené une politique environnementale ambitieuse. Malgré divers obstacles à un changement de paradigme, notamment la primauté à l’efficacité opérationnelle, d’importants progrès ont été réalisés dans la transition énergétique. L’écoconception des systèmes d’armement offre ainsi une prise en compte plus importante de l’impact du dérèglement climatique sur leur efficacité et de l’impératif de transition énergétique.
La dernière partie interroge l’appropriation de la question climatique par les grands acteurs nationaux et internationaux. Les débats au sein du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) sur la question climatique voient s’affronter deux camps : celui des partisans d’une saisine du CSNU en matière de climat, et celui de ceux qui s’y opposent, craignant des sanctions à l’encontre d’États irrespectueux de leurs engagements. Pour sa part, l’UE a adopté une « Feuille de route » sur le changement climatique et la défense. Dotée d’un leadership mondial en matière de climat et de normes, elle a un intérêt réel à assurer la coordination de son action avec celle des autres grands acteurs de la scène internationale. En parallèle, l’armée américaine a privilégié une politique d’adaptation au changement climatique au détriment de l’atténuation de son empreinte carbone. L’élection de Joe Biden pourrait toutefois replacer ce critère au cœur de la stratégie climatique du Pentagone. Enfin, même si le ministère français des Armées est engagé dans la défense verte et dans des politiques de développement durable, il n’est pas encore doté d’une gouvernance sur la question de sécurité climatique.
La conclusion de l’ouvrage insiste sur la nécessité de prendre des mesures concrètes visant à adapter, préparer et protéger l’humanité face aux conséquences du changement climatique. La protection des infrastructures-clés, la diminution de l’empreinte carbone et la coopération civilo-militaire sont autant de leviers d’action indispensables pour assurer la sécurité climatique.
La Guerre chaude analyse donc de manière complète les impacts divers du dérèglement climatique sur le contexte stratégique et les forces armées. À cet égard, l’ouvrage mêle efficacement les visions de chercheurs et praticiens spécialisés sur ces questions, le faisant sortir d’un cadre purement universitaire. Il offre au lecteur une profusion d’informations et de thèmes abordés, et laissera à chacun le loisir de s’approprier les enjeux du changement climatique et d’y retrouver des éléments de réponse. Comblant un vide certain dans la littérature scientifique et académique, il mériterait l’écriture d’un second ouvrage. ♦