Guerres d’influence – Les États à la conquête des esprits
Guerres d’influence – Les États à la conquête des esprits
Qu’est-ce que l’influence ? Comment l’État la fabrique-t-elle ? Quelle est la place de l’Europe dans cette nouvelle aire de confrontation et de compétition internationales pour les esprits ? Les démocraties libérales sont-elles préparées à ces mutations ? Le livre Guerres d’influence – Les États à la conquête des esprits de Frédéric Charillon, chercheur et professeur de sciences politiques, nous amène justement à répondre à ces questions. En 9 chapitres thématiques l’auteur y développe une réflexion sur le concept de guerre d’influence. Alors qu’auparavant il existait peu d’ouvrages sur le sujet, la publication de ce livre s’est accompagnée de l’émergence de travaux connexes.
Sa lecture apporte un regard neuf sur des phénomènes à l’œuvre depuis le début de l’humanité au prisme d’un nouveau contexte international. La guerre pour l’influence se développe maintenant en temps de paix en lien avec une interdépendance croissante entre pays. Même dans le domaine de la guerre, le recours aux stratégies d’influence est privilégié, car la supériorité militaire brute seule ne fonctionne plus.
Alternative aux usages classiques de la puissance, l’influence est omniprésente, mais il est dur de la définir. Différente de la propagande, elle ne se limite pas au lobbying. Elle ne se confond pas non plus avec l’hégémonie qui peut être le résultat de celle-ci. Ainsi, l’influence est un outil et non pas une fin en soi selon l’auteur. Une formule résume bien son essence, elle aide l’État à « faire, faire faire, empêcher de faire et refuser de faire ». Destinée au grand public, la lecture de ce livre est facilitée par des concepts auxquels le lecteur est familiarisé.
Défendant l’idée selon laquelle la bataille pour l’influence dessinera le paysage stratégique futur, l’auteur souligne que toutes les puissances ne l’aborderont pas de la même manière ni avec les mêmes armes. Certains États ont mis en place des bureaucraties dévouées, d’autres des officines secrètes ou déployé des diplomates. Des variations sont même à noter quant aux termes employés. En France, on parle de « rayonnement » tandis qu’en Allemagne on préfère parler de « relations publiques », « d’images ».
Après avoir effectué un tour d’horizon de ce qu’est l’influence, l’auteur classifie ses différentes manifestations : le modèle démocratique libéral américain, le modèle impérial avec la Chine, la Russie et la Turquie et, pour finir, le modèle golfique. Cette typologie apporte de la clarté et une grille de lecture efficace pour comprendre les points de convergence et de dissonance des politiques d’influence des pays. L’auteur distingue ainsi trois modèles.
Tout d’abord l’influence exercée par les démocraties libérales qui vise à structurer le système international par le biais de la diffusion de valeurs et par la séduction. Les démocraties s’appuient sur l’attractivité de leur « aura intellectuelle » pour mieux défendre leurs intérêts nationaux. Ensuite, l’auteur décrit une variante plus autoritaire, offensive et déstabilisatrice, dont une des ambitions est de restructurer les relations au niveau régional. En Russie, Turquie et Chine, transparaît une volonté de produire une stratégie d’influence en opposition à l’influence occidentale. Pour Poutine, « l’idée libérale est devenue obsolète ». Il y a enfin la variante prosélytiste qui trouve sa source à la fois dans les solidarités communautaires et dans les réseaux financiers. Les monarchies du Golfe cherchent à avoir une meilleure image en masquant l’autoritarisme.
En filigrane, tout au long de l’ouvrage, nous sont fournis les clés et outils de l’influence pour s’interroger sur la place et la forme que celle-ci prend, car agir sur les esprits a toujours été un objectif des systèmes internationaux. Une réflexion nous est livrée autour de la question de l’identité comme vecteur d’influence dans un monde en perpétuelle mutation entre guerres hybrides, États faillis et nouveaux acteurs (milices, groupes privés…).
On retiendra que, pour l’auteur, les démocraties doivent miser sur la transparence pour exercer leur puissance. Il s’agit à la fois de faire oublier les débâcles liées à un interventionnisme qui a montré ses limites et de concurrencer les modèles autoritaires de plus en plus attractifs.
S’appuyant sur une multitude de concepts tels que le « soft power » de Joseph Nye, la « puissance sociale » de Peter Van Ham, le « smart power », le « sharp power » et la vision de Sun Tzu, l’auteur met en avant le fait que les politiques d’influence doivent de plus en plus avoir recours à des acteurs extérieurs à l’État tels que les communautés religieuses ou les médias : c’est ce qu’il nomme le « polylatéralisme ».
Une attention toute particulière est portée sur l’impact des réseaux sociaux et du cyberespace comme vecteur d’influence. Le rôle des universités, de la langue, de la culture, des réseaux diplomatiques, des agences de notation financière et des entreprises transnationales est également décrypté à travers une profusion d’exemples variés et de références historiques et actuelles.
Dans la troisième partie, un focus est fait sur les nouvelles niches de l’influence, la place de l’Europe et les outils à adopter pour survivre dans le monde d’après. Quelles stratégies les démocraties doivent-elles prendre pour faire face aux offensives d’influence autoritaires ? Doivent-elles passer par le sharp power ? À quoi ressembleront les stratégies d’influence des prochaines années ? ♦