Getting China Wrong
Getting China Wrong
Sinologue reconnu, Aaron L. Friedberg est professeur de politique et d’affaires internationales à l’université de Princeton. Il a écrit de nombreux ouvrages et articles mettant en garde contre les dangers d’une intensification de la rivalité économique, militaire et idéologique entre la Chine et les pays occidentaux, notamment les États-Unis avec A Contest for Supremacy: China, America, and the Struggle for Mastery in Asia en 2011, Beyond Air-Sea Battle: The Debate Over U.S. Military Strategy in Asia en 2014 et Partial Disengagement: A New U.S. Strategy for Economic Competition with China en 2020.
La publication de l’ouvrage A Contest for Supremacy, dans lequel il prévoyait l’échec de la politique d’ouverture américaine vis-à-vis de la Chine lui avait valu de nombreuses critiques. Avec le recul, il se révèle que ses avertissements méritaient d’être entendus. Dans son dernier essai, il affirme que les États-Unis et d’autres démocraties sous-estiment encore les difficultés qui les attendent dans leurs relations à la Chine. Pour autant, il pense qu’elles possèdent les moyens de se protéger. Selon son approche, la meilleure forme de défense pourrait bien impliquer une volonté d’imposer des coûts politiques et économiques à la Chine. Une leçon qu’avait commencé à mettre en œuvre l’Administration Trump et qu’a reprise l’actuel gouvernement américain afin de mieux protéger son économie, mais aussi ses capacités d’innovation technologique.
La constatation qui sert de point de départ à l’ouvrage de Aaron L. Friedberg est que globalement la stratégie d’engagement des pays occidentaux envers la Chine a échoué. Cet engagement était censé inciter les dirigeants chinois à se muer en « acteurs responsables » au sein de l’ordre international. Il s’agissait aussi de contribuer au développement de la libéralisation économique du pays et d’instaurer une dynamique susceptible de conduire à la démocratisation de son système politique. Cette stratégie n’a pas atteint ses buts. Plus de trois décennies de commerce et d’investissement avec les démocraties avancées ont fait de la Chine un pays beaucoup plus riche et puissant qu’il ne l’aurait été autrement. Pour autant, la croissance et le développement n’ont pas amené les dirigeants chinois à relâcher leur emprise sur le pouvoir politique, à abandonner leurs politiques économiques protectionnistes ou à accepter les règles et normes du système international existant. Au contraire, la Chine est aujourd’hui plus répressive à l’intérieur, plus agressive et nationaliste à l’extérieur. Elle est apparemment déterminée à s’imposer comme une puissance prépondérante et révisionniste, afin de remettre en cause le système et les normes internationales existantes. Qu’est-ce qui a mal tourné, pour reprendre une partie du titre ?
Le constat de l’auteur est que les démocraties ont sous-estimé la résilience, l’habileté et le caractère impitoyable du système État-parti communiste chinois. Ainsi, les États-Unis et leurs alliés n’ont pas pris au sérieux la détermination du parti à écraser l’opposition, à construire une puissance nationale et à réaliser ses ambitions idéologiques et géopolitiques. Dans cette étude puissamment argumentée, Aaron Friedberg identifie les hypothèses qui sous-tendent la politique dite « d’engagement », mais décrit également la contre-stratégie que les dirigeants du Parti communiste chinois ont élaborée afin d’exploiter cette ouverture occidentale tout en faisant échouer ses plans. Actuellement, la stratégie de Xi Jinping est de revitaliser la croissance chinoise tout en renforçant le pouvoir de l’État-parti. Pour cela, il s’appuie au moins sur deux initiatives phares : le programme de développement industriel et technologique « Made in China 2025 » et la « Belt and Road Initiative », les Nouvelles Routes de la Soie, un ambitieux projet de construction d’infrastructures lancé en 2013.
La Chine a fait également de l’innovation industrielle et technologique des priorités afin d’asseoir ses capacités d’influence (trains à grande vitesse, réseaux 5G) et être autonome par rapport aux pays occidentaux. Les stratèges chinois espèrent par exemple que les progrès de l’intelligence artificielle et de l’informatique quantique permettront au pays de réduire l’écart avec qui les États-Unis en matière de capacités militaires moyennant le développement d’armes et de concepts opérationnels innovants.
Comme l’explique le professeur Friedberg, sous l’angle de la sécurité, le développement de la richesse et de la puissance chinoise représente un grand danger pour les démocraties occidentales. La Chine est aujourd’hui aux mains d’un régime autoritaire aux ambit ions totalitaires. Le pouvoir chinois s’est toujours senti menacé par la puissance matérielle, politique et morale des États-Unis et de leurs alliés démocrates. Il fait dorénavant appel à tous les outils à sa disposition afin de refaçonner le monde d’une manière qui serve ses intérêts, son idéologie et préserve son système politique intérieur.
Selon Aaron Friedberg à ce stade, les démocraties doivent désormais s’organiser, si elles souhaitent préserver leur prospérité, défendre leur sécurité et protéger leurs valeurs communes.
Ainsi, Aaron Friedberg recommande une révision des politiques qui, depuis des décennies, encouragent les échanges entre les deux pays, mais qui n’ont pas donné les résultats escomptés en raison notamment d’une absence de réciprocité et de l’habileté captatrice chinoise. Plutôt que de s’ouvrir davantage, les économies industrielles avancées doivent fermer leurs économies, du moins en partie, à la Chine.
Au final, on retiendra que cette analyse de Aaron Friedberg sur les échecs des dirigeants politiques et économiques américains face à la Chine sonne juste et ne vaut pas uniquement que pour les États-Unis. Il semblerait que la leçon ait été entendue et que les dirigeants non seulement américains, mais occidentaux ont pris la mesure des défis de sécurité nationale et économiques que pose le refus chinois de s’ouvrir. ♦