A History of Palestinian Islamic Jihad – Faith, Awareness, and Revolution in the Middle East
A History of Palestinian Islamic Jihad – Faith, Awareness, and Revolution in the Middle East
Cet ouvrage est une contribution importante, qui vient combler la littérature manquante sur le Mouvement du Jihad islamique en Palestine (MJIP) : il s’agit de la troisième monographie consacrée au groupe armé palestinien, les précédentes datant déjà de plusieurs années (Hatina, 2001 ; Alhaj, Dot-Pouillard, Rébillard, 2014). Il s’en distingue notamment par sa méthode, en combinant une approche quantitative des biographies de « martyrs » produites par le groupe, et une étude des textes publiés par Fathi Al-Shiqaqi, fondateur du mouvement, ou dans les organes de presse du groupe. La thèse principale défendue est celle du caractère profondément local du MJIP, loin d’un jihad globalisé : son émergence doit être située dans un contexte historique et politique palestinien. Si des auteurs fréristes, notamment Said Hawwa, ont durablement marqué l’idéologie du groupe, ce dernier ne partage pas la même tradition politique que le Hamas, en s’inscrivant dans un héritage marxiste et décolonial. En outre, la majorité des pères fondateurs du MJIP étaient auparavant affiliés aux courants laïcs-nationalistes. La création du MJIP n’a donc pas entraîné la formation d’une nouvelle idéologie, mais plutôt une réarticulation de ces idéologies avec un symbolisme religieux. C’est ce qui explique que le MJIP et le Hamas se soient développés en deux courants palestiniens distincts, divergents sur la question de savoir comment la Palestine doit-elle être libérée et dans quelles limites géographiques.
La première partie est consacrée à l’origine du MJIP. En remontant à 1967, E. Skare souligne la profonde remise en question de l’idéologie nassérienne entraînée par la défaite arabe. Il détaille les années égyptiennes, où se structure un premier noyau d’étudiants autour de discussions des auteurs islamistes et décoloniaux. De retour à Gaza, le mouvement se diffuse dans les mosquées et à l’Université islamique. Toutefois, il estime que le basculement dans la violence n’interviendra dans les années 1980 qu’avec l’arrivée de militants nationalistes laïcs, aguerris à la lutte armée. Skare prend soin de préciser que le MJIP n’était alors pas structuré, mais un « réseau lâche de cellules », où chaque militant devait fournir sa propre arme. La seconde partie pose plus explicitement la question du maintien du MJIP, alors que le Hamas prend de l’ampleur et mobilise davantage, et que le groupe est affaibli par la prison et la déportation de ses cadres. Les années 1990 sont également marquées par l’expansion du groupe et une certaine forme de bureaucratisation, source de tensions internes et de défections sur lesquelles Skare revient. La période allant de la deuxième intifada aux printemps arabes est étudiée dans une dernière partie. Elle se caractérise par un renforcement du MJIP après une nouvelle période d’affaiblissement, permis notamment par des ancrages et des réseaux implantés dans le Nord de la Cisjordanie depuis plus d’une décennie. Erik Skare y aborde enfin la réflexion développée par le MJIP sur l’État, dont il conclut qu’elle est à la fois issue de l’islam politique par son conservatisme, profondément libérale et lockienne dans son rapport à l’État. L’analyse de la laïcité en fin d’ouvrage est à ce titre particulièrement pertinente, tant elle témoigne de la spécificité du groupe. Sur ces éléments, il conclut au caractère non révolutionnaire du groupe, dont la violence s’inscrit d’ailleurs dans la tradition des débuts de l’OLP qui cherche à conserver une vision fantasmée de la Palestine, et non à transformer l’ordre social.
L’ouvrage, très riche, présente toutefois plusieurs limites. Skare le reconnaît, en ne statuant par sur plusieurs de ses hypothèses, notamment le caractère décisif du soutien iranien. Une approche ethnographique mériterait également d’être menée, à la lumière des travaux récents sur les camps palestiniens au Liban. L’absence de mobilisation d’un robuste cadre théorique, particulièrement en sociologie des mobilisations et sur l’engagement dans la violence, fait défaut à l’argumentaire soutenu. Ainsi, s’il souligne à juste titre la prépondérance de certaines familles de villages du Nord de la Cisjordanie dans les rangs des « martyrs », reflet selon lui de l’importance des liens amicaux, tribaux et familiaux, on regrette que l’analyse ne soit pas approfondie : comment, concrètement, les liens familiaux, claniques ou amicaux sont-ils mobilisés ? Par quels dispositifs ? Par ailleurs, la période libanaise du groupe est incomplètement restituée, sans débat de la littérature existante, notamment le rôle des Brigades du jihad islamique (Saraya al-jihad al-islami), un organe militaire du Fatah (Alhaj, Dot-Pouillard, Rébillard, 2014). Plus largement, il faillit à rendre compte avec clarté des développements de l’aile militaire, évoqués de manière discontinue au fil de l’ouvrage. Malgré ces limites, on ne peut accueillir qu’avec grand intérêt cet ouvrage, donc la lecture apportera des éléments de compréhension sur ce groupe qui a rompu avec sa marginalité. ♦