La Loterie nationale française - Ses devancières de 1539 à 1776
François Ier, aux titres de protecteur des Arts et des Lettres et de Roi Chevalier, ajouta celui plus modeste de Père de la Loterie lorsqu'il signa, le 21 mai 1539, l'édit de Châteaurenard, qui organisait la première Loterie Royale de France à l'exemple de la blanque et du lotto qui fonctionnaient au-delà des Alpes. Le roi estimait qu'en « rabillant les affaires du royaume qui étaient fort descousues, cette loterie procurerait au peuple et bourgeois jeux et esbattements honorables ». Il observait : « Pendant que mes sujets s'y livreront, ils oublieront fort à propos de s'injurier, de se battre et de blasphémer Dieu ».
C'est donc dans le dessein de procurer des ressources au Trésor Royal qu'avait été lancée cette première loterie, mais il ne semble pas qu'elle ait fonctionné très longtemps.
Si pendant toute la période qui va de 1539 à 1776 il a été fait appel aux produits de la Loterie pour combler le déficit des finances publiques, ce ne fut que d'une manière épisodique sans qu'on pût considérer les bénéfices de la loterie comme une ressource permanente et la loterie elle-même comme une institution stable.
Au surplus, d'autres loteries plus ou moins privées furent autorisées, telle celle qu'institua en 1572 Louis de Gonzague, duc de Nivernais, pour établir et doter les jeunes filles pauvres des villages du Nivernais, de Picardie et autres lieux où il possédait des seigneuries. On signale également plus tard des blanques tirées dans les foires, en particulier celle de Saint-Germain, au bénéfice des artisans et pour la plus grande joie des « chambrières »
De la place publique, la loterie passe dans les salons où les précieuses en firent un divertissement galant bientôt transformé en loterie d'argent. C'est ainsi que, le 31 décembre 1644, la Marquise de Rambouillet obtint du Roi des lettres patentes pour une Loterie Royale au profit des « Hôpitaux Généraux de France ». Le projet, abandonné lors de la Fronde, semble avoir été repris quelques années plus tard par Mlle de Scuderi.
Les loteries se succèdent alors à un rythme accéléré. L'italien Tonti organise une « tontine » de 100 000 louis d'or pour couvrir les frais de reconstruction du Pont Royal.
Le mariage de Louis XIV en 1660, celui de sa fille Mlle de Nantes en 1686 sont l'occasion de loteries de libéralités tirées à la Cour au profit des artisans de toutes les corporations et des pauvres.
En 1699, une loterie permet de doter de pompes à incendie les vingt quartiers de Paris.
À partir de 1701 et dans les années qui suivirent, les produits de loteries vont contribuer à l'édification ou à la remise en état de nombreux bâtiments d'intérêt public, tels que hôpitaux, églises et musées, en particulier à Paris les églises Saint-Roch, Saint-Louis-en-l’Île, Saint-Laurent, Saint-Gervais, Saint-Sauveur, Saint-Martial et la Madeleine, les monastères des Théatins, de Sainte-Périne, Saint-Basilice, de Sainte-Geneviève, l'actuel Panthéon qui fut édifié en 1754 par l'architecte Soufflot. En province, les églises de Saint-Pierre d'Arnetal à Rouen, Saint-Louis de Poissy, des hospices, des collèges à Lyon, Angers, Tours, Amiens, Beauvais, Marseille, Bordeaux et Limoges ont été construits grâce à diverses loteries.
Cependant, le Gouvernement Royal, toujours à la recherche de ressources, prend conscience que la loterie peut être utilisée à des fins financières.
Le 11 mai 1700, Louis XIV instituait la première loterie d'État.
Le préambule de l’édit expose qu'après avoir ouï le rapport du Ministre de Chamillart, le Roi, désirant procurer à ses sujets un moyen commode et agréable de se faire un revenu sûr et considérable pour le reste de leur vie, en donnant au hasard des sommes si légères qu'elles ne puissent leur causer aucune incommodité, fait ouvrir une loterie…
Le capital en était de 10 millions de livres. Le billet valait 2 louis d'or. Les lots formaient un total de 500 000 livres de rentes viagères au denier vingt, sans compter les primes en espèces sonnantes. Le gros lot s'élevait à 20 000 louis. Il s'agit de louis frappés par Louis XIV en 1693 et qui valaient alors 14 livres tournois. Leur teneur en or fin était de 6 g 21, ce qui équivaut à quelque 3 500 de nos francs actuels.
Cette première expérience fut peu concluante. La modicité des gains éventuels comparée au prix relativement élevé des billets n'encourageaient guère les joueurs. On dut proroger l'opération d'un an, sans arriver d'ailleurs à couvrir le capital prévu.
Mais les loteries de bienfaisance, ou au profit de collectivités publiques, sont de plus en plus nombreuses. Une loterie est lancée en faveur des victimes des épidémies qui sévirent durant le rude hiver de 1709.
Après la mort de Louis XIV, la régence est aux prises avec les difficultés financières qui déterminent l'adoption du système Law et la fondation de la Compagnie des Indes. Mais le système échoue et, pour renflouer la Compagnie des Indes, on a recours à la loterie qui, de 1724 à 1769, permet de « pourvoir aux engagements de ladite Compagnie et de la mettre en état de les acquitter ».
Pendant la même période des loteries sont instituées en faveur de l'hôpital de la Pitié, de l'Hôtel-Dieu, des Enfants Trouvés et de Sainte-Pélagie, qui faisaient partie de l'Hôpital général de Paris.
En 1752 commencèrent les travaux de construction des bâtiments de l'École Royale Militaire, sous la direction de l'architecte Gabriel. Les premiers frais sont couverts par le produit des droits sur les cartes à jouer. Mais en 1757 les fonds manquent. C'est alors que le 15 octobre 1757 le Conseil du Roi décide d'avoir recours à une loterie. L'aventurier vénitien Casanova a raconté dans ses mémoires comment se fit l'opération. Se faisant fort de restaurer les finances royales, il est mis en rapport par le Duc de Choiseul avec le Contrôleur général des Finances, M. de Boulogne, auquel il expose ses vues qui ont vraisemblablement été adoptées puisqu'on récompensa Casanova en lui octroyant six bureaux de loterie.
Quoi qu'il en soit, le premier tirage a lieu le 18 avril 1758 ; la recette fut de 2 millions et la régie encaissa 600 000 francs de bénéfice. Par la suite, le succès de cette loterie allait grandissant et permit l'achèvement de l'École militaire.
Cette expérience a démontré au Gouvernement que le public a pour les loteries un véritable engouement. À tel point que, bientôt, l'on voit circuler en France des billets des loteries étrangères qui fonctionnaient régulièrement et depuis très longtemps, soit en Angleterre, soit dans les villes hollandaises, soit dans les États romains.
La crainte d'une hémorragie d'or au profit des pays voisins, l'accroissement des difficultés financières, la certitude de répondre aux désirs et aux besoins de la population, voilà, semble-t-il, les motifs qui poussèrent M. de Clugny, successeur de Turgot, à proposer en 1776, au jeune Roi Louis XVI, l'institution d'une Loterie Nationale. Mais cela n'allait pas sans difficultés. Plutôt que d'affronter le risque d'un refus du Parlement, le Roi renonce à prendre un édit et décide que la Loterie Nationale fera l'objet d'un simple arrêté du Conseil qui porte la date du 30 juin 1776. ♦