La neutralité helvétique est une réalité ancienne qui a permis à Berne d’éviter de devoir prendre parti. Avec la guerre en Ukraine, cette position diplomatique est fragilisée et oblige désormais la Suisse à réfléchir sur une évolution de son statut et à accepter de nouvelles modalités dans sa politique étrangère.
La neutralité suisse, victime collatérale de Vladimir Poutine
Swiss Neutrality—Collateral Victim of Vladimir Putin
Age-old Swiss neutrality has long allowed Berne to avoid having to take sides, yet the war in Ukraine is weakening this diplomatic position. Switzerland is now having to consider a change in its status and to accept new ways of exercising its foreign policy.
Mise en cause sur la question de la réexportation vers l’Ukraine des munitions fabriquées en Suisse pour les blindés allemands Gepard, la neutralité helvétique est en réalité violemment bousculée par l’agression de la Russie. À charge, pour les autorités de Berne, de lui trouver de nouveaux « protecteurs ».
Sous la coupole du Palais fédéral, à Berne, les débats au Conseil national (1) et au Conseil des États (2) sont rarement agités. Qui connaît un peu politiquement la Suisse, démocratie parlementaire mâtinée de référendums et d’initiatives parlementaires, sait en effet que sa tradition la plus constante, depuis 1848 et la rapide guerre civile du « Sonderbund » (1845-1847), est celle de la concordance. Concordance au sein du Conseil fédéral, ce gouvernement de sept ministres issus des quatre partis de gouvernement : PS, Parti libéral radical (droite), UDC (droite dure) et le Centre (chrétien-démocrate). Concordance aussi au sein du Parlement, où les textes de lois sont le plus souvent adoptés par des majorités ad hoc, et non bloc contre bloc. Concordance des vingt-six cantons enfin, puisque pour l’emporter, toute votation destinée à modifier la Constitution fédérale doit rassembler la double majorité du peuple et de ces entités régionales dotées de presque toutes les compétences d’un État digne de ce nom, sauf la diplomatie et la défense.
Incontournable consensus helvétique
Cette référence rapide à l’incontournable consensus helvétique n’a, a priori, que peu de choses à voir avec la guerre déclenchée en Ukraine par l’agression russe du 24 février 2022. Jusque-là et malgré ce retournement majeur qu’a constitué, quatre jours après le début du conflit, la décision du Gouvernement d’appliquer les sanctions européennes contre Moscou, le débat politique suisse ne s’est pas enflammé. Rien de comparable, en matière de prises de position ou de surenchère politico-médiatique, au feuilleton à rebondissement des relations bilatérales entre la Confédération et l’Union européenne. Le rejet brutal et unilatéral par le Conseil fédéral du projet d’accord-cadre avec l’UE survenu le 26 mai 2021 (3) avait engendré, lui, un séisme institutionnel dont le pays n’est d’ailleurs toujours pas sorti. Idem, une décennie en arrière, pour l’autre choc sismique que fut, le 13 mars 2009, l’abandon par la Suisse de son secret bancaire, sur pression directe des États-Unis (4). Citons aussi la polémique suscitée, en juin 2021, par la décision du Gouvernement d’acheter 36 avions de chasse américains F-35 plutôt que des Rafale français ou des Eurofighter européens. Ces trois bourrasques ont bien plus fait tanguer, chacune de façon différente, le navire suisse habitué à voguer sur les lacs alpins.
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