La France a connu plusieurs échecs en Afrique. Il faut en tirer les leçons en travaillant différemment pour restaurer une confiance aujourd’hui fragilisée. Sans laisser la place par naïveté à une Russie agressive dont les milices pillent sans vergogne les ressources du Mali et de la Centrafrique.
Plaidoyer pour une nouvelle politique africaine
A Plea for a New African Policy
France has suffered a number of setbacks in Africa. We need to draw lessons from them and work differently in order to restore weakened confidence whilst avoiding naïvety regarding an aggressive Russia, whose militia is shamelessly pillaging the resources of Mali and the Central African Republic.
Le bilan des quinze dernières années de ce que l’on appelait autrefois notre politique africaine apparaît particulièrement calamiteux. La démocratie qu’appelait de ses vœux le président Mitterrand lors du discours de La Baule en 1991 a surtout permis à quelques vieux caïmans de piller leurs pays pendant des décennies. Elle a permis à quelques héritiers de s’emparer de pouvoirs qui semblent désormais de nature héréditaire. Plus inquiétant, un certain Evgueni Prigojine (Wagner) a pris ses quartiers au cœur centrafricain de notre pré-carré. Cerise sur le gâteau, le Mali et le Burkina, ces deux pays où pendant un demi-siècle, nos ONG ont exercé en toute liberté, où des générations de chercheurs et de coopérants français se sont succédé, nous ont tout bonnement expulsés. Oubliés en passant les 58 jeunes Français qui ont récemment sacrifié leur vie dans un combat impossible. Alors que les diasporas de ces deux pays vivent par centaine de milliers dans nos banlieues, c’est Sergueï Lavrov, l’homme à qui le maître du Kremlin a confié la mission d’ouvrir un « deuxième front face aux insidieuses manœuvres de l’Occident », qui est reçu en grande pompe à Bamako.
Devons-nous passer l’Afrique par pertes et profits ?
Il nous faut ici être réalistes : rebâtir cette relation suppose en premier de balayer devant notre porte et d’établir un bilan honnête de nos erreurs passées qui sont d’abord de nature politique. En 2013, l’opération Serval était sans doute indispensable, dans un contexte où la prise de Bamako par des groupes djihadistes pratiquant pour certains l’enlèvement d’Occidentaux contre rançon, laissait craindre la capture non plus de deux ou trois otages, mais des 5 000 ou 6 000 expatriés y résidant. Il nous faut en revanche reconnaître que le lancement de l’opération Barkhane, en août 2014, a souffert d’objectifs déraisonnables et de l’absence d’une stratégie de sortie. Étions-nous avec cette opération, embarqués pour six mois comme initialement annoncé, ou pour 15 ans comme certaines voix militaires l’ont alors discrètement remarqué ? N’aurions-nous pas dû retirer l’essentiel de nos forces en 2013, après la première élection du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), pour le laisser clairement responsable de la reconstruction de son État et de son armée ? Ou lorsqu’il décida, à la colère du Fonds monétaire international (FMI), l’achat d’un avion présidentiel sur le budget des armées (1), dans des conditions laissant supposer corruption et surtout manque de sérieux du Président d’un pays déjà bien fragilisé ? Mais surtout, en maintenant près de dix ans une armée occidentale dans une ancienne colonie, ne devions-nous pas nous attendre à un phénomène de rejet, correspondant au fameux syndrome du « US Go Home » ?
Que fallait-il aussi penser de cet objectif fumeux de « lutte contre le terrorisme », déjà menée avec le succès que l’on connaît en Irak et en Afghanistan par le président Bush, alors que le terrorisme est un mode d’action et non un ennemi clairement identifié. Nous nous sommes imprudemment alliés avec le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), un groupe séparatiste, nourrissant par là même une profonde et durable suspicion sur nos objectifs de la part des responsables maliens. Nous avons imprudemment engagé le combat simultanément contre divers groupes hostiles déjà enkystés, sans distinguer ceux avec qui des négociations auraient été possibles et les groupes réellement irréductibles. Pendant une décennie nous avons considéré Iyad Ag Ghali (2), comme notre ennemi numéro un, l’homme à abattre, alors que protégé par les services algériens il était certainement un interlocuteur possible d’une négociation que nous refusions. Nous avons par ce credo de la « lutte contre le terrorisme », interdit aux autorités maliennes de négocier, « car on ne négocie pas avec le terrorisme », comme si Barkhane par sa seule action militaire, allait pouvoir rétablir la sécurité dans un pays de 20 millions d’habitants, traversé de multiples tensions entre ses vingt principales ethnies. Un pays en crise, grand comme deux fois et demie la France, aux structures étatiques déliquescentes, mal géré par une classe politique prédatrice et plongé dans une impasse démographique !
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