L’Afrique empoisonnée : pathologie et thérapie des conflits
L’Afrique empoisonnée : pathologie et thérapie des conflits
Albert Pahimi Padacké a été Premier ministre du Tchad de février 2016 jusqu’à la suppression constitutionnelle de ce poste (mai 2018). À la mort du président Idriss Déby Itno (avril 2021), le Conseil militaire de transition l’a, à nouveau, nommé Premier ministre du gouvernement de transition, fonction qu’il a occupée jusqu’en octobre 2022. Il montre que le continent africain, plus que d’autres, vit dans une instabilité quasi chronique. Quelques chiffres à l’appui de cet amer constat : 16 des 54 États sont englués dans des conflits de longue durée ; 66 000 Casques bleus de l’Organisation des Nations unies, soit 70 % de leur effectif total, sont déployés en Afrique et 135 coups d’État (ou tentatives) sont survenus depuis 1960. Cette instabilité « clinique » ne manque pas d’inquiéter et, conjuguée aux problématiques de croissance démographique et de réchauffement climatique, hypothèque gravement le développement économique et social ainsi que l’avenir des générations africaines.
Les conflits sont devenus le miroir sanglant des enjeux combinés, politiques, économiques, sociaux et culturels, auxquels l’Afrique est confrontée. Ces situations belligènes sont d’autant plus complexes que leurs facteurs sont nombreux, et que leurs formes d’expression, comme les acteurs qui y participent, se diversifient. Le rôle quasi exclusif du rapport de puissance, notamment celui opposant deux armées se faisant face, s’en trouve relativisé, tout comme celui des « batailles décisives » qui venaient jadis décider du sort de la partie. Cet écheveau de la conflictualité nouvelle, partant d’une décolonisation insuffisamment pensée, mettant en place des États importés,
souvent mal reçu ou mal compris par une population habitée par une autre culture politique. Cette crise de confiance est source de poussées autoritaires qui se font belligènes et qui placent le pouvoir et sa contestation au centre de toute mobilisation. Ce déficit structurel de légitimité politique réagit sur l’ensemble des institutions internes (normes, organisation territoriale, administrative et sociale) et externes (frontières
étatiques).
Cependant, ce soubassement contradictoire n’aurait pas cette nature explosive s’il ne se conjuguait pas avec d’autres ferments mis en évidence par l’auteur : des enjeux économiques aiguisés par l’insécurité humaine, une désorganisation foncière liée à la raréfaction des terres, à l’incertitude des régimes de propriété, à la désertification et aux pratiques d’accaparement des terres par des puissances étrangères. On passe ainsi des effets classiques de concurrence frontale à ceux, plus contemporains, d’une combinaison de facteurs globaux ; on glisse de la stratégie hostile d’autrefois, chère à Clausewitz ou à Carl Schmitt, à la récupération stratégique de facteurs de décomposition institutionnelle et sociale opérée par les entrepreneurs de violence qui prolifèrent aujourd’hui. D’où la banalisation des guerres intra-étatiques en Afrique contrastant avec la relative rareté des guerres interétatiques qui ont pourtant fait l’histoire de l’Europe, et ce,
malgré les litiges frontaliers généralement hérités des tracés coloniaux. ♦