L’ordre international est aujourd’hui remis en cause par des puissances émergentes récusant les normes issues d’un Occident critiqué, voire rejeté. Il convient donc de réfléchir à ces transformations pour mieux en appréhender les difficultés et réduire les risques de confrontation, voire d’affrontements.
Introduction – Vers un nouvel ordre international ?
Introduction–Towards a New International Order?
The international order is today being challenged by emerging powers which object to, or even reject, the standards set by a much-criticised West. We need to analyse this changing situation to gain better understanding of the difficulties presented, and to reduce the risks of confrontation in its various forms.
L’ordre international, tel qu’il a été établi après la Seconde Guerre mondiale, est aujourd’hui confronté à de nombreux défis et remises en question. Les dynamiques géopolitiques, économiques et technologiques actuelles ont sapé les fondements de cet ordre, ouvrant la voie à l’émergence d’un nouvel équilibre mondial. Comprendre ce nouveau paysage international nécessite une ouverture à l’altérité et une diversification des sources pour saisir les voix émergentes qui redéfinissent l’ordre mondial. Dans ce numéro de la RDN, nous examinerons les principales raisons qui contribuent à la contestation de l’ordre international actuel, les espaces géographiques ou virtuels où le combat se livre, ainsi que les implications de cette transition vers un nouvel ordre. L’objectif de ce numéro est donc de souligner la diversité des approches et des éclairages extra-occidentaux avant tout pour mieux calibrer nos diplomaties d’influences futures sur ces nouveaux théâtres d’opérations.
D’une part, la montée des puissances émergentes, telles que la Chine, l’Inde, le Brésil et la Russie, joue un rôle central dans cette transition. Leur croissance économique rapide et leur influence politique accrue remettent en question la domination des puissances traditionnelles et aspirent à une plus grande participation dans les institutions mondiales. Cela entraîne une redistribution des pouvoirs et une redéfinition des relations internationales (RI), ce qui nécessite une adaptation des stratégies de diplomatie et d’influence occidentales.
D’autre part, le déclin relatif de l’influence occidentale contribue également à la remise en question de l’ordre international actuel. Les crises économiques, les conflits internes et la perte de confiance envers les institutions traditionnelles ont affaibli la capacité des pays occidentaux, en particulier des États-Unis et de certains pays européens, à exercer une influence dominante. Dans le même temps, les pays émergents et d’autres acteurs régionaux gagnent en importance, créant un paysage multipolaire et complexe.
L’ère post-occidentale et le nouvel équilibre mondial
Dans un monde en constante évolution, il est essentiel de reconnaître les transformations profondes qui s’opèrent sur la scène mondiale. L’émergence progressive d’une « ère post-occidentale » est l’une de ces évolutions majeures qui ne peut être ignorée par les acteurs des RI. Les fondements du système international tel que nous le connaissions sont en train de se transformer, et l’Occident ne joue plus le rôle central qu’il a longtemps occupé. Historiquement, l’Occident se réfère à l’Europe et à ses extensions coloniales en Amérique du Nord et du Sud, ainsi qu’en Australie et en Nouvelle-Zélande. L’Occident a été le moteur de la modernité, dominé par des valeurs telles que la démocratie libérale, les droits de l’homme et le capitalisme. Pendant des siècles, ces idées et systèmes ont façonné le monde, lui donnant une position de pouvoir incontestable.
Cependant, au cours des dernières décennies, nous avons assisté à une redistribution du pouvoir et à l’émergence de nouvelles forces qui contestent la suprématie occidentale. Les BRICS (1) connaissent une croissance économique rapide et jouent un rôle de plus en plus influent sur la scène mondiale. Ces pays ont leurs propres visions et modèles de développement, remettant en question les principes occidentaux qui ont dominé pendant si longtemps. Cette transition vers l’ère post-occidentale ne se limite pas à un simple transfert de puissance d’un pôle géographique à un autre. Elle implique également des changements idéologiques et culturels profonds. Alors que l’Occident a longtemps été perçu comme un modèle à suivre, les pays non occidentaux remettent en question cette supériorité culturelle et cherchent à affirmer leur propre identité et leur propre voix. De nouvelles formes de gouvernance émergent, adaptées aux réalités locales et souvent différentes des systèmes politiques occidentaux.
L’ère post-occidentale met également en lumière les défis auxquels le monde est confronté, défis qui nécessitent une coopération internationale accrue. Des problèmes tels que le changement climatique, la cybersécurité, le terrorisme ou les flux migratoires ne peuvent être résolus par un seul acteur, aussi puissant soit-il. La multipolarité de l’ère post-occidentale appelle à une approche plus inclusive et concertée, où différents pays et régions travaillent ensemble pour trouver des solutions communes.
Cependant, cette transition n’est pas exempte de tensions et de rivalités. Les nouvelles puissances émergentes cherchent à s’affirmer et à protéger leurs intérêts, ce qui peut entraîner des conflits potentiels avec les anciennes puissances occidentales. Les différences d’idéologie, de gouvernance et d’intérêts économiques peuvent rendre difficile la construction d’un nouvel équilibre mondial stable.
Ainsi, d’un côté l’affirmation des aires extra-occidentales n’est pas toujours facile à accepter pour les stratèges politiques en Occident, de l’autre l’affirmation de ce décentrement va de pair avec des logiques de puissance (économique, politique), et il est encore souvent un objectif politique que pour une minorité des intellectuels et des politiques de ces pays. Il s’agit d’abord de profiter des avantages de la puissance de l’ordre traditionnel, le reste arrive après. L’Asie émergente conteste de plus en plus ouvertement les valeurs occidentales qui nourrissent les principes de l’ordre international. Il s’agit de l’affirmation pour les pays de la zone d’un décentrement des RI en lien avec des problématiques postcoloniales récurrentes et de récits alternatifs en matière de politique étrangère pour promouvoir leur modèle dans l’ensemble des nouveaux espaces de compétitions de puissance physiques ou virtuels.
Dans ce contexte de cette ère post-occidentale, il est crucial de réfléchir à l’évolution probable des structures et des institutions internationales existantes. Les organisations telles que l’Organisation des Nations unies (ONU), le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale doivent s’adapter pour refléter cette nouvelle réalité multipolaire. Il est également essentiel de promouvoir un dialogue interculturel et de reconnaître la diversité des perspectives et des expériences.
L’Ordre international et les normes contestées : les défis de la coopération mondiale
L’ordre international libéral a été, en effet, façonné par un ensemble de normes et de règles visant à promouvoir la paix, la stabilité et la coopération entre les Nations. Cependant, ces normes qui ont longtemps été considérées comme universelles et incontestées sont aujourd’hui soumises à un examen minutieux et à des contestations croissantes. Des tensions émergent autour de questions cruciales telles que les droits de l’homme, le commerce international, la souveraineté et la gouvernance mondiale, mettant à l’épreuve la solidité de l’ordre international.
L’ordre international moderne a été forgé sur des principes clés. Le respect du droit international, l’égalité souveraine des États, la promotion des droits de l’homme, la démocratie et le libre-échange ont été les pierres angulaires de cet ordre. Ces principes ont été institutionnalisés par des organisations telles que l’ONU, le FMI, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et d’autres acteurs multilatéraux qui ont travaillé à la résolution des conflits, à la promotion du développement économique et à la protection des droits fondamentaux.
Certains États remettent en question la primauté du droit international en s’engageant dans des actions unilatérales et en ignorant les décisions des tribunaux internationaux. D’autres acteurs, en invoquant la souveraineté nationale, cherchent à restreindre les principes des droits de l’homme, soutenant que les valeurs culturelles spécifiques à chaque pays doivent prévaloir sur les normes internationales. En outre, la montée du protectionnisme commercial et des politiques économiques nationalistes ébranle les principes du libre-échange et de la coopération économique mondiale.
Ces contestations des normes internationales ont des conséquences significatives pour la coopération mondiale. Les tensions entre les États, motivées par des visions divergentes et des intérêts nationaux, menacent la capacité des institutions internationales à résoudre les conflits et à promouvoir la coopération. La polarisation politique et la fragmentation des alliances mettent en péril la recherche de solutions communes aux problèmes mondiaux pressants tels que le changement climatique, les pandémies et les crises migratoires.
Le défi majeur auquel est confronté l’ordre international est de parvenir à un équilibre entre les valeurs universelles et les spécificités nationales. Il est essentiel de reconnaître que les normes internationales ne peuvent pas être rigides ou imposées de manière unilatérale. La diversité des traditions culturelles, des systèmes politiques et des perspectives doit être prise en compte dans le processus de formulation des normes mondiales.
Pour relever ces défis, un dialogue constructif et une diplomatie multilatérale sont indispensables. Il est crucial d’encourager un débat ouvert et inclusif, qui permette aux différentes voix et visions d’être entendues et prises en compte.
Les mouvements nationalistes et populistes constituent un autre facteur de perturbation de l’ordre international. En remettant en question la coopération internationale et les accords multilatéraux, ces mouvements privilégient des intérêts nationaux étroits au détriment de la stabilité globale. Le nationalisme et le populisme alimentent les tensions et affaiblissent les institutions internationales existantes, mettant ainsi en péril l’ordre établi.
Les conflits régionaux persistants, tels que ceux au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie, ainsi que les tensions géopolitiques entre grandes puissances, contribuent également à la fragmentation de l’ordre international et entravent les efforts de coopération. La fragmentation de l’ordre international est également alimentée par les tensions géopolitiques entre grandes puissances, notamment les rivalités entre les États-Unis et la Chine, qui remettent en question la stabilité mondiale. Ces conflits fragilisent la stabilité mondiale et entravent les efforts de coopération, créant ainsi un besoin accru de repenser l’ordre mondial.
Enfin, les défis transnationaux et mondiaux, tels que le changement climatique, les pandémies, les migrations massives et le terrorisme, nécessitent une coopération internationale renforcée. Cependant, l’ordre international actuel montre des limites dans sa capacité à répondre efficacement à ces défis complexes. Les acteurs mondiaux doivent donc redoubler d’efforts pour forger un consensus mondial et mettre en place des mécanismes de coopération solides.
Conclusion
L’ordre international actuel est donc contesté et confronté à de profondes transformations. La montée des puissances émergentes, le déclin de l’influence occidentale, les mouvements nationalistes, les conflits régionaux et les défis transnationaux sont autant de facteurs qui contribuent à cette transition vers un nouvel ordre international. Pour relever ces défis, il est crucial de renforcer la coopération internationale, de promouvoir un dialogue ouvert et de forger de nouvelles alliances. L’avenir de l’ordre international dépendra de la capacité des acteurs mondiaux à s’adapter et à collaborer pour construire un monde plus équitable, pacifique et durable. Il ne s’agit pas pour autant de favoriser la réinvention d’approches culturalistes pour mieux les circonscrire et en limiter la portée. Au contraire, l’écoute de ces autres narratifs est une manière de mieux saisir la complexité du monde dans un contexte de multipolarité.
Ce nouvel ordre international « décentré » des préoccupations occidentales marque donc une transition majeure dans les équilibres mondiaux. L’Occident n’est plus le seul centre de pouvoir et d’influence, de nouvelles forces émergent avec leurs propres visions du monde. Cette transition offre des opportunités pour une coopération internationale renforcée, mais elle comporte également des défis et des tensions. La construction d’un nouvel équilibre mondial nécessitera des efforts concertés et une volonté de revoir les schémas de pensée et les structures hérités du passé. Se préparer à cette ère post-occidentale est essentiel pour naviguer avec succès dans les défis et les opportunités de notre temps. ♦
(1) L’acronyme BRICS désigne un groupe de cinq pays (en anglais : Brazil, Russia, India, China, South Africa) qui se réunissent depuis 2011 en sommets annuels.