Les ambitions de Pékin sur Taiwan posent de vraies difficultés pour les États d’Asie du Sud-Est. Soucieux de préserver leur souveraineté et leur indépendance, souvent avec l’appui des États-Unis pour le volet militaire, ils veulent simultanément conserver de bonnes relations, notamment économiques avec la Chine.
Les États d’Asie du Sud-Est face à l’éventualité d’une guerre à Taiwan
South-East Asian Countries in the Face of Possible War in Taiwan
Beijing’s ambitions regarding Taiwan are posing great difficulties for the countries of South-East Asia. Though anxious about preserving their sovereignty and independence, often with military support from the United States, they at the same time want to maintain good relations—especially economic relations—with China.
Il est frappant de constater que la montée des tensions dans le détroit de Taiwan est un facteur de réorganisation des relations sécuritaires et des interdépendances entre les États d’Asie du Sud-Est (1). Les chefs d’état-major américains estiment qu’en 2027 les capacités militaires de la Chine seront suffisantes pour qu’une offensive contre Taiwan devienne une hypothèse crédible (2). Parallèlement, le président chinois Xi Jinping a déclaré que son armée achèvera sa modernisation en 2035, une date avant laquelle tout déploiement militaire offensif semble improbable. D’ici là, la volonté de Pékin est de faire peser une incertitude sur sa politique à l’égard de la navigation dans le détroit, et sur son interprétation de son statut en droit international. Comment se positionnent les États d’Asie du Sud-Est face à l’éventualité d’un conflit armé dans le détroit de Taiwan ? Quels sont les défis auxquels ces pays s’exposent dans ce contexte dans leur relation avec la Chine et les États-Unis ?
Taiwan, « la Chine unique » et la mer de Chine méridionale
Les revendications de Taiwan en mer de Chine méridionale se heurtent à celles du Viêt Nam, des Philippines, de la Malaisie et du sultanat du Brunei, quatre États membres de l’ASEAN (Association of Southeast Asian Nations) (3). L’ambiguïté stratégique de Taiwan dans les mers d’Asie du Sud-Est est ancienne. Taïwan a été le premier État à envoyer des troupes dans les Spratleys après la fin de la Seconde Guerre mondiale, établissant dès 1956 une base militaire permanente à Itu Aba (Taiping Dao), l’île principale de l’archipel ; sept ans auparavant, Taiwan avait déjà construit un phare aux Pratas (Dongsha Qundao). Taipei entendait alors tirer profit de la localisation géographique de ces îles pour surveiller les actions militaires de la Chine. Les Pratas et Itu Aba abritent des stations météorologiques, des radars, des postes d’écoute et des unités de patrouille permettant, depuis les premières, de se renseigner sur les activités de certaines bases de l’Armée populaire de libération (APL, l’armée chinoise) à partir desquelles pourraient être lancées des attaques contre l’île de Taïwan et, depuis la seconde, d’observer les mouvements de l’APL dans les Spratleys. Outre les deux points clés que constituent l’atoll des Pratas et Itu Aba, Taïwan contrôle également le petit récif de Jhongjhou (Zhongzhou jiao). Situé à quelques encablures d’Itu Aba, Jhongjhou est cependant moins sensible car il n’abrite ni d’infrastructure, ni population permanente. Officiellement, les revendications territoriales de Taipei sont encore circonscrites par la « ligne en onze traits » tracée pour la première fois sur une carte en 1947.
Cependant, depuis la reprise des tensions entre les deux rives du détroit au tournant des années 2010, les autorités taïwanaises ont fait le choix de renforcer leurs liens avec l’Asie du Sud-Est, et notamment avec les Philippines (4). Lancée en 2016, la New Southbound Policy (NSP) du gouvernement taïwanais poursuivait cet objectif avec l’ensemble des pays de l’ASEAN (5). Fin 2015, la signature d’un accord sur les pêcheries entre les représentants du Bureau économique et culturel de Taipei aux Philippines, et du Bureau économique et culturel de Manille à Taiwan a en effet ouvert la voie au règlement de leurs différends en mer de Chine méridionale. L’objectif pour Taiwan était de faire du chevauchement des Zones économiques exclusives (ZEE) revendiquées non pas un motif d’usage de la force, mais une opportunité de coopération bilatérale avec ses voisins d’Asie du Sud-Est.
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