La victoire d’Erdoğan aux élections présidentielles de mai va lui permettre de poursuivre sa politique étrangère visant à accroître son autonomie à l’international, notamment vis-à-vis de l’Otan et des États-Unis. Cette approche met en particulier la question de la Syrie au cœur des projets conduits par Ankara.
La quête d’autonomie de la Turquie à l’international
Turkey’s Quest for International Independence
Erdoğan’s victory in the May presidential elections will allow him to pursue his foreign policy aimed at building Turkish independence on an international level, with regard to NATO and the United States in particular. His approach puts the Syrian question at the heart of Ankara’s projects.
La victoire de Recep Tayyip Erdoğan au second tour de l’élection présidentielle de mai 2023, avec 52,16 % des voix, vient nous confirmer qu’il n’y aurait pas de rupture en politique étrangère. Au contraire, ce nouveau mandat du Président turc va lui permettre d’entrer dans une nouvelle ère où l’autonomie turque sera priorisée, tout en créant de la continuité dans la conduite de la politique étrangère. Cette thématique de l’indépendance a été également centrale pendant la campagne électorale. Selon Mustafa Şentop, président de la Grande Assemblée nationale de Turquie et membre de l’AKP (Parti de la justice et du développement), parti au pouvoir depuis 2002, le « thème de cette élection, l’idée principale, est une Turquie totalement indépendante. Une Turquie qui ne décide que dans l’intérêt de sa propre nation et de son pays (1) ».
La désignation du nouveau cabinet est aussi révélatrice de cette continuité dans une politique étrangère pro-active du gouvernement. Hakan Fidan, à la tête des services de renseignements turcs (Milli İstihbarat Teşkilatı, MİT) pendant plus de treize ans, vient d’être nommé ministre des Affaires étrangères. Considéré comme le « gardien des secrets d’Erdoğan » (2), il est l’un des artisans de l’intervention croissante du MİT dans la politique étrangère depuis 2014. Il est aussi fortement impliqué dans le dossier syrien et dans le lancement des premières opérations militaires au lendemain de la tentative du coup d’État du 15 juillet 2016. Sa nomination nous indique qu’Erdoğan souhaite renforcer cette vision de la politique étrangère pro-active et interventionniste, qu’il mène en lien avec l’armée et les services de renseignements. Ces derniers agissent pour créer sur différents fronts des conditions favorables aux intérêts turcs.
Ainsi, la Turquie agit de plus en plus individuellement et unilatérablement ou forme des alliances bilatérales, « minilatérales », et mène des opérations militaires en dehors du parapluie otanien, comme ce fut le cas en Syrie, en Irak et en Libye. Son action se fait en fonction de ses propres préoccupations sécuritaires et de ses différents intérêts nationaux, alors même qu’ils entrent en contradiction avec ceux de ces partenaires de l’Alliance atlantique. Avec la fragmentation de l’ordre mondial et le retrait des États-Unis du Moyen-Orient dans l’optique de se concentrer sur leur concurrence avec la Russie et la Chine, les puissances moyennes font le choix de ne pas se référer à un camp et optent pour un multi-alignement (3). C’est également ce que fait la Turquie, mais l’autonomie en politique étrangère signifie-t-elle que le pays peut poursuivre ses propres intérêts indépendamment des équilibres de pouvoir internationaux et des institutions dans lesquelles il se trouve ? Ces intérêts dissonants peuvent être source de tensions, et cette quête d’autonomie ne doit pas devenir l’expression d’une difficulté d’Ankara à se positionner et à construire une véritable ligne de conduite des politiques étrangère et de défense.
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