China’s Rise and Rethinking International Relations Theory
China’s Rise and Rethinking International Relations Theory
La rivalité sino-américaine est-elle inévitable ? La Chine cherche-t-elle une domination régionale ? Mondiale ? À supplanter, voire expulser les États-Unis en Asie-Pacifique ? À refondre l’ordre libéral fondé sur des règles ? La montée en puissance de la Chine a été l’un des thèmes les plus étudiés des Relations internationales (RI) ces dernières années, synonyme d’une anxiété occidentale quant à l’essor chinois. Défi majeur pour l’imaginaire épistémique eurocentré, China’s Rise and Rethinking International Relations Theory propose une synthèse de la théorisation de la montée en puissance chinoise au sein des RI anglophones, et plus largement occidentales. L’ouvrage, dirigé par Chengxin Pan (enseignant à l’Australian National University) et Emilian Kavalski (professeur à la Jagiellonian University, Cracovie), se présente comme une analyse critique des RI contemporaines. Sur fond de remise en question de la « mono-disciplinarité » du courant dominant des RI d’un ordre dit « westphalien », il fournit un réexamen indispensable et précieux de ses concepts clés par la présentation des apports de la connaissance de la politique chinoise.
Les nombreux auteurs de cet ouvrage s’accordent pour considérer les théories standards des RI comme insuffisantes à la compréhension du fait chinois et de sa politique extérieure. La montée en puissance chinoise représente de nombreux enjeux de théorisation pour les RI traditionnelles dans leur capacité à solliciter d’autres manières d’analyser, de comprendre et de percevoir le monde. Le géographe américain John A. Agnew critique les biais « eurocentrés, masculins et non-hétéronormatifs » des RI westphaliennes, qui font pourtant figure d’autorité. Celles-ci s’appuient sur une connaissance de l’histoire européenne et nord-américaine, et sont établies sur ce que les contributeurs appellent « l’ordre westphalien » reposant sur des normes occidentales dominantes et prétextées universelles. Des normes et valeurs, telles que la démocratie, les droits de l’homme ou la souveraineté, qui ont pu avoir tendance à être « fétichisées ». Cette pensée dominante occidentaux-centrée, ou westphalienne, est déplorée par ce que Yih-Jye Hwang, enseignant-chercheur à l’Université de Leiden (Pays-Bas), appelle les universitaires « post-occidentaux », car elle tend à marginaliser les pensées subalternes et à enraciner une vision dichotomique « Chine contre Occident » des relations chinoises avec l’ordre international.
Les contributeurs suggèrent ainsi de considérer la montée en puissance chinoise comme un nouveau point de départ pour l’innovation, la transformation et la réflexion des RI. Les différents chapitres, divisés en deux grandes parties, nous livrent des manières alternatives d’interroger et de penser la scène internationale et ses événements en des termes différents de ceux qui nous sont familiers, au croisement entre les systèmes de pensée occidentaux et des éléments empruntés des courants des RI chinoises, voire « eastphaliennes ». Il est absolument nécessaire d’appréhender les perceptions chinoises de la position de la Chine sur la scène internationale sans fausser notre jugement par les biais induits par nos propres représentations occidentales. Dans une ouverture dialogique remarquable, qui reconnaît dans ses réflexions l’existence et la possibilité de pensées et de conceptions de l’ordre international variées et multiples, l’ouvrage remet en question le caractère universel des RI revendiqué par les théories actuelles, cela au travers du cas complexe de la théorisation de l’essor chinois et de sa manière d’appréhender sa politique étrangère.
Ainsi, l’ouvrage propose dans sa première partie des clés de compréhension des théories chinoises des RI, par la présentation de certains concepts fondamentaux de la pensée chinoise traditionnelle. Le « tianxia » permet une compréhension de la politique étrangère chinoise, par l’appréhension de l’agencement de l’ordre cosmique des choses. Ce concept induit une notion importante de la centralité et de la hiérarchie dans la politique étrangère chinoise. Autre concept central de la pensée chinoise, le « guanxi » offre un cadre relationnel pour comprendre comment fonctionnent les relations au sein de la société chinoise et dans leurs rapports à autrui. Par cette approche, Emilian Kavalski dresse un portrait d’une pensée des RI chinoises comme relationnelles, concentrées sur le concept et les pratiques de l’amitié. Au contraire des RI classiques qui s’intéressent aux « choses » et ont pour objet d’étude l’État, la nation ou la souveraineté, Astrid Nordin et Graham Smith, professeurs respectivement au King’s College de Londres
et à l’Université de Leeds, estiment que la discipline des RI chinoises privilégie les « relations » au lieu de l’individualité, dans une logique de sa politique étrangère de « co-constitution avec l’autre ». On retrouve cette idée fondamentale de l’amitié dans la pensée chinoise traditionnelle confucéenne. Réintroduire l’amitié serait l’une des contributions de la connaissance de la politique chinoise nécessaires pour repenser les RI.
Dans une ultime partie, les contributeurs nous livrent critiques et suggestions pragmatiques pour permettre aux RI occidentales d’analyser de manière significative la montée en puissance de la Chine. Barry Buzan, chercheur au LES IDEAS (1), met ainsi en avant les forces et les faiblesses des théories de l’English School et permet un levier de compréhension sur les contradictions de la politique étrangère chinoise. Professeur au National Cheng Kung University (Taïwan), Hung-Jen Wang conteste la représentation de l’émergence d’un cadre normatif « eastphalien » dominé par la Chine et opposé à l’ordre mondial « westphalien » pour comprendre les répercussions de l’essor chinois. Il prône plutôt une analyse alternative des RI avec une approche hybride « westphalienne-eastphalienne » davantage centrée sur la « théorie de transition des pouvoirs » plutôt que « l’équilibre des forces ». Cette approche permettrait de distancer l’idée de fracture entre Nord et Sud, démocraties et régime autoritaires induite également par le courant réaliste et sa vision anarchique du système international – là où la Chine le perçoit comme hiérarchique. Enfin, Chengxin Pan conteste l’ontologie traditionnelle des RI « cartésienne/newtonienne » et propose d’explorer une « ontologie relationnelle holographique » reposant sur l’interdépendance qui n’est pas sans rappeler le yin et le yang des taoïstes. ♦
(1) Think tank de la London School of Economics and Political Science.