Guerres infinies. Aspects militaires des guerres irrégulières
Guerres infinies. Aspects militaires des guerres irrégulières
C’est un panorama très complet des guerres non interétatiques du XXe siècle à nos jours que nous présente Pierre Santoni. Ce colonel d’infanterie, fort d’une riche expérience opérationnelle, réputé pour ses études tactiques et doctrinales, fait ici œuvre d’historien. Il passe en revue toutes les formes dites « irrégulières » que revêt la conflictualité : guerres civiles, révolutionnaires, de partisans, de libération, guérilla urbaine et cyberguerre. Au-delà des aspects purement militaires de recrutement, de formation et d’équipement des parties en présence, il analyse le rôle des facteurs sociologiques, notamment ethniques et religieux dans la genèse de ces conflits, comme dans leur déroulement et leur issue s’ils prennent fin.
L’auteur nous rafraîchit la mémoire et nous instruit sur des conflits oubliés ou peu connus du lecteur français, qu’ils soient anciens ou lointains. On découvre ainsi la guerre de libération du Bangladesh (1971), ou encore les quatre guerres de l’Eelam qui ont déchiré le Sri Lanka entre 1973 et 2009.
La question cruciale pour les états-majors, à savoir « comment une armée régulière s’adapte-t-elle à une guerre irrégulière ? », a inspiré les théoriciens de la contre-insurrection. Tous les modes d’action sont ici passés en revue : emploi de petites unités mobiles, quadrillage ou cloisonnement du terrain, contact à garder avec les populations afin de « gagner les cœurs », etc. Ainsi naissent de véritables doctrines, comme l’action intégrale développée par les autorités colombiennes dans leur lutte contre les FARC (la guérilla communiste) et adaptée par l’Otan dans sa comprehensive approach (approche globale) prenant en compte tous les aspects militaires et non militaires d’une crise.
Le dénominateur commun de toutes ces guerres irrégulières, indépendamment de leur durée et des effectifs engagés est la violence sans limites, y compris les crimes avant, pendant et après les batailles. Cette violence, indissociable du choc cinétique de l’affrontement, qui produit souvent des dommages collatéraux, peut également s’exercer dans des opérations psychologiques, pour terroriser l’adversaire ou diffuser une propagande. C’est aussi ce type d’opérations qui s’emploie en riposte, même au regard de l’hybridité d’une force adverse constituée de combattants mais aussi de criminels de droit commun, de groupes mafieux et de fanatiques politiques ou religieux.
L’auteur souligne comment l’utilisation de certains matériels (véhicules, aéronefs, embarcations rapides) a pu influer sur le rapport de forces en manœuvrabilité ou en puissance de feu, sans pour autant s’avérer toujours déterminante. En effet, le vainqueur d’une guerre n’est pas forcément celui qui l’emporte sur le terrain, comme l’ont montré les guerres de décolonisation menées par la France et le Portugal.
Quelle que soit l’issue de ces conflits, ils demeurent l’affaire des combattants et de leur chef sur le terrain, qu’il soit un seigneur de la guerre comme Ahmad Shah Massoud en Afghanistan ou un personnage devenu légendaire comme le fantasque baron balte Ungern-Sternberg contre les Bolcheviks ou encore Lawrence d’Arabie contre les Ottomans. Il s’agit toujours d’un chef clairvoyant au charisme puissant auprès de ses hommes, parfois sous-officier ou général, souvent lieutenant ou capitaine. Pierre Santoni en cite pour chaque conflit, laissant transparaître une discrète admiration pour certains d’entre eux.
Alors, qui gagne dans une guerre irrégulière ? Pierre Santoni nous livre sa réponse dans son excellent ouvrage : c’est celui pour qui l’enjeu est existentiel. ♦