Un djihad sans foi ni loi – ou la guerre contre le terrorisme à l’épreuve des réalités africaines
Un djihad sans foi ni loi – ou la guerre contre le terrorisme à l’épreuve des réalités africaines
Cet ouvrage est le troisième d’une série de l’auteur, après la publication de L’Afrique, nouvelle frontière du djihad en 2018 et Une guerre perdue en 2020. Marc-Antoine Pérouse de Montclos, politiste et directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), inscrit cet ouvrage dans le contexte du retrait de l’armée française du Mali et américain en Afghanistan, deux interventions perçues comme des échecs dans leur objectif de stabilisation de ces zones. Fondamentalement, l’auteur essaie de tirer les leçons de la « guerre contre le terrorisme » menée au Sahel depuis dix ans.
L’auteur cherche ainsi à décentrer son analyse sur plusieurs points afin d’obtenir une meilleure compréhension des dynamiques propres au djihadisme et son implantation en Afrique. Tout d’abord, l’auteur tente de rééquilibrer son analyse des conflits en étudiant la multiplicité des acteurs engagés dans les différentes insurrections, à l’inverse d’autres recherches concentrées seulement sur les groupes djihadistes. Par ailleurs, il veut relativiser l’importance du facteur religieux dans la mobilisation djihadiste, en mettant en exergue le poids des facteurs socio-économiques locaux, ainsi que les relations de pouvoir.
Au-delà d’une analyse originale qui vise à reconsidérer ce qu’est une insurrection djihadiste, cet ouvrage met en lumière les conséquences concrètes que la grille d’analyse du djihadisme peut avoir sur les réponses à apporter. En effet, le poids des facteurs idéologiques n’est que relatif dans la mobilisation djihadiste, il s’agira pour les acteurs (inter)nationaux d’envisager des politiques de démobilisation et de négociation prenant en compte les réalités sociopolitiques, au-delà des tentatives de déradicalisation aux résultats incertains mises en œuvre jusque-là.
L’ouvrage s’articule en sept chapitres visant à contextualiser les facteurs politiques et sociaux locaux des insurrections djihadistes, plus spécifiquement au Sahel et dans la Corne de l’Afrique. Les trois premiers chapitres sont dédiés aux facteurs favorables à la montée en puissance des groupes djihadistes dans ces régions. Tout d’abord, les dysfonctionnements des forces de sécurité contribuent à l’endoctrinement religieux car leurs défaillances encouragent les États africains à recourir à des milices qui, in fine, contribuent à entretenir les violences locales. De plus, les politiques antiterroristes mises en place par les États ont permis une violente répression accompagnée d’un narratif gouvernemental à l’influence faible, avec pour résultats des violations massives des droits humains sans pour autant mettre un terme à ces insurrections djihadistes.
Les trois chapitres suivants interrogent l’importance des facteurs religieux et socio-économiques dans la mobilisation des djihadistes. Ainsi, l’auteur montre les incohérences entre le discours et la pratique djihadiste, qui se révèlent parfois nécessaires pour s’adapter aux réalités du terrain ; toutefois, il reconnaît que cela ne prouve pas que les différentes doctrines religieuses ne soient pas importantes pour la mobilisation. Par ailleurs, des lectures géographiques et sociologiques mettent en exergue l’absence de lien systématique entre extrémisme religieux et violence djihadiste en Afrique subsaharienne. La diversité de motivations individuelles et collectives soutient l’importance de nuancer le rôle de l’endoctrinement religieux. À ces éléments s’ajoute une analyse des parcours des leaders religieux, qui montre la difficulté à appréhender le moment du basculement dans la violence politico-religieuse.
Enfin, le dernier chapitre se concentre de manière plus concrète sur les implications opérationnelles de ce qui a été démontré précédemment par l’auteur, en s’attardant sur les contradictions des approches se concentrant sur la prévention et la déradicalisation, et leur préfère des politiques de négociation et de démobilisation, plus adaptées.
Cet ouvrage participe à des débats actuels et essentiels pour comprendre les dynamiques des conflits sur le continent africain, en analysant les ressorts idéologiques et sociopolitiques de la radicalisation djihadiste. Les arguments de l’auteur comportent de fortes implications pratiques et opérationnelles pour les réponses à apporter par les acteurs (inter)nationaux. L’auteur conclut, à juste titre, que chaque situation requiert des solutions adaptées. L’ouvrage se termine sur une note méthodologique apportant une réflexivité bienvenue. L’auteur reconnaît les limites auxquelles font face les chercheurs travaillant sur ces insurrections djihadistes contemporaines, notamment sur les débats opposant les « globalistes » insistant sur la portée mondiale du terrorisme au risque de réaliser des conjectures d’après de simples coïncidences, et les « localistes » dont l’attention portée aux spécificités du terrain peut les empêcher d’appréhender la dimension internationale du terrorisme. L’auteur cherche ainsi un équilibre entre une compréhension « globale » et « locale » du djihadisme. ♦