Les câbles sous-marins
Les câbles sous-marins
À l’ère de la « société de l’information » où le flux de données qui transite de par le monde est toujours plus important, le numérique occupe une place prépondérante au sein des relations internationales. Les câbles sous-marins sont des éléments vitaux du fonctionnement de notre système planétaire. Composante éminemment stratégique du système international par laquelle sont transportés plus de 98 % des flux d’information, ils forment un réseau maritime devenu la pierre angulaire de la mondialisation contemporaine. Représentant près de 450 câbles sous-marins de fibre optique étirés sur plus de 1,3 million de kilomètres et reliant plus de 4 milliards d’internautes, ce réseau d’information invisible est pourtant assez méconnu du fait de la complexité de son fonctionnement et de son écosystème. Cet ouvrage a donc pour ambition de fournir un guide à la fois clair et d’une grande utilité pour la compréhension de cette technologie de pointe à l’heure où notre consommation de données ne cesse d’augmenter. Chercheuse en relations internationales, Camille Morel soumet ainsi un tour d’horizon exhaustif des câbles sous-marins et de ses grands enjeux et propose au lecteur une porte d’entrée et les clés de compréhension nécessaires à l’analyse de la portée géopolitique de ces infrastructures.
L’auteure s’attelle ainsi dans son premier chapitre à présenter la structure, le fonctionnement des câbles sous-marins, et les acteurs qui investissent le secteur. Elle offre une explication détaillée de ce qu’est concrètement un câble sous-marin de fibre optique : son diamètre, son poids, ses composants et le rôle de ceux-ci. Le câble sous-marin appartient à « un ensemble global de transmission qui constitue le système de communication international ». À la fois maritime et numérique, avec donc une dimension physique, le câble investit également la dimension du cyberespace. Par conséquent, les vulnérabilités de ce réseau sont multiples. Si l’écrasante majorité des dommages causés sont dus à l’activité humaine (accrochages d’ancres ou de filets de pêche), il existe aussi des risques naturels – tremblement de terre, tsunami, iceberg, éruption volcanique – ou l’impact du réchauffement climatique (montée des eaux). Les câbles sont aussi confrontés à des actes malveillants – coupures de câbles, captation des données, cyber-attaques – remis sur le devant de la scène après le sabotage sur les gazoducs sous-marins Nord Stream en mer Baltique ou les ruptures de câbles un mois après à Marseille et au large de l’Écosse en 2022.
De nombreux acteurs évoluent sur le marché des câbles sous-marins dont l’imbrication est parfois complexe à appréhender. Camille Morel distingue trois types d’acteurs principaux : fournisseurs, propriétaires et poseurs, distincts mais qui peuvent se recouper. Traditionnellement, les États-Unis, la France et le Japon dominent le secteur des télécommunications. Le chapitre II donne un aperçu des dynamiques entre les très nombreux acteurs, ainsi que des stratégies de ces opérateurs historiques. Il raconte également le bouleversement induit par l’arrivée des GAFAM américains sur le marché depuis les années 2010 et, plus récemment, l’essor technologique chinois. L’apparition de ces géants du Net dans le secteur des télécommunications a redistribué les cartes et provoqué une rupture à deux niveaux : économique d’abord, avec la restructuration de l’écosystème de l’optique sous-marin et l’abandon du modèle commercial traditionnel, et géographique en raison de la mise en concurrence des États en matière de câbles depuis leur introduction.
Les chapitres III et IV ramènent les câbles sous-marins à une dimension territorialisée, liée à l’histoire et aux politiques des États, et donc à une question éminemment géopolitique. D’abord, Camille Morel réalise une cartographie mentale absolument pertinente des câbles sous-marins, de laquelle ressortent trois axes majeurs structurés autour de la Triade États-Unis–Asie–Europe : les axes transatlantique, transpacifique et Europe-Asie. Les câbles n’ont jamais été exempts des réalités géopolitiques dans le temps. Comme l’explique Camille Morel dans un résumé – pour autant précis – de l’histoire des voies de communication, leur positionnement est le reflet des rapports de force étatiques. Autrefois dominé par l’Empire britannique à l’ère du télégraphe, le centre de gravité de l’information est désormais dominé très largement par les États-Unis et son cadre normatif. On retrouve aussi dans le maillage des câbles les logiques de fracture Nord-Sud, de dépendance des pays africains pour l’Europe, et de disparité de développement et de connectivité.
Comme le rappelle l’auteure, les câbles sont stratégiques. Ils sont intrinsèquement liés à la maîtrise de l’information, et donc à l’origine de rapports de force entre États. Les fonds marins sont ainsi un espace de conflictualité : le contrôle de l’information est un instrument historique au service du jeu des puissances sur la scène internationale. De plus, on observe récemment une tendance à la politisation des câbles. Les grandes puissances investissent de plus en plus cet espace et adoptent des réponses audacieuses pour renforcer leur résilience, voire détenir des leviers de pression dans le cas chinois ou russe. Camille Morel rend compte des prévisions des tendances futures à partir d’une analyse minutieuse de l’évolution de ces rapports de force et d’une étude comparative de plusieurs politiques publiques.
Après avoir évoqué le rôle politique joué par les câbles sous-marins et les stratégies des grandes puissances pour le contrôle de l’information, Camille Morel interroge avec raison les lacunes du cadre juridique international des câbles sous-marins. Espace situé entre la haute mer légiférée par la Convention sur le droit de la mer de Montego Bay (1982), et les eaux territoriales soumises aux législations diverses des États côtiers, le réseau sous-marin induit une interdépendance systémique entre les États qui complexifie son encadrement. Il n’existe pas de régulation formelle au niveau mondial et la protection du droit international est insatisfaisante, voire permissive. Un cadre juridique lacunaire donc, que l’auteure juge démuni face aux nouveaux défis auquel il est soumis, avec notamment la prise de conscience autour des enjeux environnementaux, évoquée dans l’ultime chapitre. ♦