Deploying Feminism: The Role of Gender in NATO Military Operations
Deploying Feminism: The Role of Gender in NATO Military Operations
Détentrice de la Chaire de recherche du Canada sur le genre, la sécurité et les forces armées, et professeure agrégée au département d’études politiques de l’Université Queen’s, Stéfanie von Hlatky propose dans son livre une analyse détaillée sur l’agenda « Femmes, Paix et Sécurité » dans l’Otan, et présente la mise en œuvre de ces normes à travers le prisme de 3 de ses missions, la mission KFOR (Kosovo), la défense renforcée de l’avant (eFP) et la Mission de l’Otan en Iraq (NMI). L’agenda « Femmes, Paix et Sécurité », promu par plusieurs organisations internationales et initié notamment par l’ONU, vise à accroître la participation des femmes à la prévention et au règlement des conflits, la stabilisation et la construction de la paix, à inclure l’analyse de genre dans les programmes et les missions internationales, à rendre plus explicite le lien entre égalité des sexes et les conflits, ainsi qu’à protéger les femmes contre les violences sexuelles et sexistes. L’ouvrage de Stéfanie von Hltaky décrit la manière dont les normes de l’agenda « Femmes, Paix et Sécurité » au sein de l’Otan ont été interprétées par les militaires pour répondre à des objectifs d’efficacité opérationnelle, entraînant ainsi une « distorsion des normes ». Sous cette expression, l’auteure entend le mécanisme par lequel le sens initial d’une norme est transformé au cours de sa mise en œuvre. Selon l’auteure, cette distorsion se produit lorsque la diversité est instrumentalisée pour justifier l’intégration du genre, plutôt que de se concentrer sur l’élimination des pratiques discriminatoires.
À partir d’une analyse de documents primaires, d’une analyse comparative d’études de cas (KFOR, eFP et NMI) ainsi que plus d’une centaine d’entretiens réalisés auprès de différents acteurs militaires et civils de l’Otan, l’ouvrage se veut novateur, non dans le sens où l’auteure affirme que les militaires instrumentalisent les normes de l’agenda « Femmes, Paix et Sécurité », affirmation connue dans les relations internationales féministes, mais que le processus de distorsion des normes est un problème de mandant-mandataire. En effet, selon Stéfanie von Hltaky, les militaires se sont vus déléguer le pouvoir de mettre en œuvre l’agenda « Femmes, Paix et Sécurité » et à ce titre, un certain nombre d’éléments contenus dans les directives stratégiques de l’Otan se perdent en étant converties en orientations opérationnelles puis en actions tactiques.
L’ouvrage est clairement organisé dans sa structure : l’auteure examine tout d’abord les questions de représentation des sexes au sein des forces armées et l’intégration de genre dans les opérations militaires. À la lumière des politiques et directives communes de l’Otan basées sur les normes « Femmes, Paix et Sécurité », elle analyse le processus d’institutionnalisation qui s’effectue par la création de postes spéciaux tels que les GENAD (Gender Advisor), de rapports annuels, de formation interne, d’intégration de la perspective de genre dans la planification opérationnelle. S’appuyant sur les trois études de cas, l’auteure avance que la doctrine commune de l’Otan réduit les variations de mise en œuvre de ces normes, mais qu’en raison du caractère nouveau et général des directives, les commandants des missions disposent encore d’un pouvoir discrétionnaire dans leur application. L’étude de cas sur l’eFP constitue un cas à part puisque, jusqu’en 2022, eFP ne faisait pas partie des opérations otaniennes, c’est-à-dire ne faisait pas partie de la planification opérationnelle de l’Otan, laissant ainsi une fenêtre discrétionnaire considérable pour la nation-cadre. De même, l’auteure souligne que les lignes directrices sur la mise en œuvre de l’agenda « Femmes, Paix et Sécurité » sont suffisamment larges pour qu’elles soient interprétées au niveau militaire de façon étroite. L’auteure conclut en examinant le rôle que les pays membres de l’Otan pourraient jouer dans l’implémentation de ces normes au niveau national. Selon elle, l’élaboration de directives plus claires, un leadership civil plus décisif et une coopération civilo-militaire plus active sont nécessaires pour une bonne mise en œuvre des normes « Femmes, Paix et Sécurité », sans stratégie de sortie ni d’état final en vue. Enfin, l’auteure propose des recommandations sur la manière de rendre les forces armées nationales plus réceptives à l’intégration des normes « Femmes, Paix et Sécurité » dans les opérations militaires mais également sur la manière dont l’Otan dans sa propre chaîne de commandement pourrait améliorer l’application de ces normes.
Grâce à l’intégration fluide d’entretiens réalisés auprès d’acteurs civils et militaires de l’Otan et la structure de l’ouvrage qui permet une lecture aisée, Stéfanie von Hltaky réussit le pari de captiver son lecteur jusqu’au bout en l’emmenant vers un terrain plutôt inexploité jusqu’ici. Ce livre, pertinent dans l’approche comparative des études de cas KFOR, eFP et NMI, pose la question de la hiérarchie des priorités entre l’intégration de ces normes d’une part, et les objectifs d’efficacité et de succès de la mission d’autre part. En proposant une analyse méticuleuse des mécanismes par lesquels les normes « Femmes, Paix et Sécurité » sont établies au sein de l’Otan, l’ouvrage de Stéfanie von Hltaky permet d’établir une réflexion utile sur les axes d’amélioration de la mise en œuvre de ces normes au sein de l’Otan. ♦