L'auteur répond ici à l'offensive menée par les quatre personnalités du monde politique américain qui ont publié dans le numéro de printemps de la revue Foreign Affairs un article sur le non-emploi en premier de l'arme nucléaire. Cette revue est d'ailleurs une tribune bien connue que l'un des quatre, George Kennan, avait utilisée en 1947 pour définir la doctrine du containment.
George Kennan est lui-même un spécialiste des affaires soviétiques, conseiller du secrétaire d'État du président Truman (Dean Acheson) et ambassadeur à Moscou. McGeorge Bundy s'est trouvé pendant de longues années à la Maison-Blanche comme conseiller pour les affaires de sécurité des présidents John Fitzgerald Kennedy et Lyndon Johnson. Robert McNamara a rempli les fonctions de secrétaire pour la Défense de ces deux présidents avant d'être lui-même président de la Banque mondiale. Quant à Gerard Smith, il a occupé le poste de chef de la délégation américaine pour les négociations SALT I de 1969 à 1972.
L'article de Foreign Affairs a donc fait grand bruit. L'administration Reagan a fait savoir qu'elle était totalement opposée à la thèse de ceux que la revue britannique The Economist appelait « les quatre cavaliers de l'Apocalypse », et d'autres « la bande des quatre ».
Bien involontairement — et pour un temps — le général Galtiéri a rendu quelque cohésion à l’OTAN. Il a fallu que les États-Unis exercent un choix, et c’est vers la Grande-Bretagne qu’ils se sont tournés en soutenant sa cause. Moins innocemment, sans doute, MM. George F. Kennan, Robert S. McNamara, McGeorge Bundy et Gerard Smith s’efforcent de dénouer les derniers liens qui unissent encore dans un même destin les pays industriels de l’Occident (1).
Usant d’une tribune faisant autorité en la matière, ces quatre personnalités de la politique et de la haute administration des États-Unis se sont entendues pour asséner un nouveau coup à une coalition militaire que certains tiennent, abusivement, pour vacillante. En réclamant du gouvernement américain qu’il renonce — si besoin était — à recourir en premier aux armes de destruction massive au profit des alliés européens, ils s’en prennent aux fondements mêmes d’une organisation défensive mise sur pied à l’initiative des États-Unis et qui n’entrerait en action que selon leurs conceptions stratégiques. S’ils étaient écoutés, au sein de l’OTAN, ces quatre personnages ramèneraient leur propre pays au rang de puissance mineure. Ils conduiraient le commandement américain de l’Alliance à réclamer le retour outre-Atlantique des contingents des États-Unis stationnés en Europe, faute d’y pouvoir détenir le rôle décisif qui, depuis plus d’un quart de siècle, leur incombe.
Les quatre signataires de cette nouvelle manifestation du repli américain semblent oublier que les pays européens de l’OTAN firent confiance à leur puissant allié, que, ensemble, ils créèrent un système défensif fondé sur l’indissociable combinaison de l’arme nucléaire éventuellement brandie par l’Amérique et des contingents classiques qu’il leur revient de fournir, faute d’avoir été autorisés à se doter d’armes modernes, semblables à celles dont dispose abondamment le parti opposé. De surcroît, ces mêmes alliés européens furent invités par les États-Unis à souscrire aux clauses du traité de non-prolifération afin que, ne détenant jamais, eux-mêmes, les moyens de leur sécurité, ils s’en remettent — pour une période indéterminée, sinon pour toujours — à la garantie nucléaire américaine. Aussi est-ce faire preuve d’une certaine ignorance des affaires militaires, ou d’une évidente mauvaise foi, de proclamer que, rassemblant plus de 250 millions d’habitants et possédant maintenant d’importantes ressources matérielles, les pays européens membres de l’OTAN pourraient pourvoir eux-mêmes à leur sécurité. Les États-Unis se sont comportés de manière à ce que cette forme de statu quo territorial ne puisse même être envisagée. Après s’être ingéniés à la rendre irréalisable, il est pour le moins déplacé d’inviter les Européens de l’Ouest à en dépendre.