Depuis l’invasion russe de l’Ukraine, le concept d’art opératif revient au-devant de la scène. L’ouvrage Strategiia d’Alexandre Sviétchine permet de comprendre les prescriptions de ce concept tentant de réconcilier la stratégie et la tactique. Mais la confrontation armée, à l’ère du nucléaire, n’est-elle pas devenue une composante de la lutte informationnelle ?
L’Opération militaire spéciale russe en Ukraine à l’aune du concept d’art opératif
The Russian Special Military Operation in Ukraine Seen Through the Concept of Operational Art
Since the Russian invasion of Ukraine, the concept of operational art has returned to the fore. Alexander Svechin’s work Strategy offers an understanding of the prescriptions of this concept, which attempts to reconcile strategy and tactics. And yet, in the nuclear age, has armed conflict become just a component of information warfare?
L’« Opération militaire spéciale » russe en Ukraine, déclenchée le 24 février 2022, marque le retour de la guerre de haute intensité et ce, sur le sol européen. Outre les conséquences géopolitiques, économiques et humanitaires, cette intervention force les analystes militaires à s’y pencher sur ce qui se passe sur le terrain afin d’en tirer certaines leçons concernant la nature de conflits armés dont l’apparition semblait pourtant peu probable à l’ère du nucléaire. Nous tâcherons ic d’évaluer les actions militaires menées en Ukraine par la Russie à l’aune du concept d’art opératif de plus en plus cité.
Le concept d’art opératif
La guerre, dont les objectifs sont politiques, et l’art de la mener sont divisés en deux grandes branches appelées tactique et stratégie (1). Le théoricien prussien Carl von Clausewitz (1780-1831) décrit cette distinction comme ceci : « nous divisions l’art de la guerre proprement dit en tactique et en stratégie, et nous répétons que la première enseigne à employer les forces dans les combats et la seconde à employer les combats favorablement à la guerre (2). »
Historiquement, la distinction trop peu comprise entre ces deux concepts a engendré des déconvenues sur le plan militaire. En effet, une accumulation de victoires tactiques n’a jamais représenté une condition nécessaire et suffisante pour remporter une victoire stratégique et encore moins politique. C’est en Russie, et puis en Union soviétique, que les penseurs militaires ont tenté de proposer des solutions afin de rendre la distinction entre stratégie et tactique plus appréhendable. Même si la notion d’opération militaire est antérieure à ses travaux, Alexandre Sviétchine (1878-1938), dans son ouvrage Strategiia (1927), consacre ce que l’on appellera l’art opératif. Il le définit comme étant : « une discipline militaire à laquelle est confiée la tâche centrale d’organiser l’activité militaire en “opérations”, sur la base des buts fixés, eux, par la stratégie (3). » Il s’agit, plus concrètement, de combiner les opérations afin d’atteindre le but de la guerre. Cet ouvrage de référence va servir de base aux théoriciens de la guerre soviétiques dont Mikhaïl Toukhatchevski (1893-1937) qui précisera l’objectif de l’art opératif en ajoutant : « l’impossibilité sur un large front moderne de détruire l’armée ennemie d’un seul coup impose d’accomplir cette tâche par une série d’opérations successives) (4). »
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