La guerre numérique est une réalité devenue quotidienne, que le conflit imposé par la Russie à l’Ukraine a accrue. Pour Moscou, il n’y a aucune restriction à chercher à déstabiliser nos sociétés via une stratégie de désinformation, veillant à étendre son influence. Les cyberattaques contre tout type de cibles en sont un mode d’action très efficace. À la ligne de front terrestre s’ajoute une ligne de front cybernétique.
Russie-Ukraine : la ligne de front cybernétique ou la guerre sans restriction à l’ère numérique
Russia-Ukraine: the Cybernetic Front Line, or Unlimited Warfare in the Digital Era
Russia’s conflict with Ukraine has intensified the digital warfare now being waged everywhere, every day. Moscow entertains no restrictions on its quest to destabilise our societies through a strategy of disinformation aimed at spreading its influence. Cyber-attacks against targets of all kinds are a highly effective means of action. A cybernetic front line now joins that on the ground.
Dans le contexte de la dématérialisation croissante de notre société, le concept de guerre a évolué au-delà du champ de bataille traditionnel. Le numérique a permis aux belligérants et à leurs soutiens d’amener l’exterritorialisation des conflits et leur omnidirectionnalité à niveau encore jamais atteint. Il n’y a plus de distinction entre ce qui est ou n’est pas un champ de bataille. Tout comme il est difficile de définir si un pays qui fait l’objet d’attaques cybernétiques liées à un conflit en cours en devient implicitement un belligérant. L’espace numérique technologique, qui sert de lien entre les espaces naturels et sociaux de notre monde physique et son pendant numérique, est devenu un champ de bataille majeur. Les lieux d’échanges sociaux, la politique, l’économie, la culture et la psychologie sont également autant les armes que la cible d’une guerre cognitive, qui a pour objectif la conquête de notre cerveau.
Cette guerre cognitive se joue, en partie, au niveau de la conquête des opinions, de l’amplification de nos incertitudes, ou encore de la fragilisation du lien de confiance envers les institutions. Quelle que soit notre opinion ou notre religion, nous sommes pris en otages, pris à partie, pris à témoin ou encore désignés coupables. On pourrait penser qu’il suffit de tout éteindre pour se déconnecter d’un conflit… Cela ne sera pas suffisant, la guerre ne s’invite pas que sur nos écrans, que ça soit sur ceux de nos smartphones ou de nos télévisions, mais elle s’invite aussi parfois dans nos rues, où elle vient ancrer sa dimension traumatique, relayée mille fois déjà sur les médias sociaux. On peut se demander si ces prises de position, ces opinions, ces émotions que suscite l’horreur de ces situations que l’on dénonce nous appartiennent vraiment, ou, est-ce que ce sont juste l’aboutissement de stratégies guerrières modernes…
C’est dans cet espace « hors du périmètre physique du conflit » que les adversaires déploient des efforts considérables pour se battre, en utilisant des outils et des tactiques numériques plutôt que des armes traditionnelles. Un thème abordé aussi dans Unrestricted Warfare, un ouvrage publié en 1999 par Qiao Liang et Wang Xiangsui, deux colonels de l’Armée populaire de libération (APL) chinoise, lesquels proposaient des tactiques pour compenser leur infériorité militaire dans une guerre de haute technologie. Les stratégies suggérées dans ce livre comprenaient déjà le piratage de sites Web, le ciblage d’institutions financières, l’utilisation des médias et la conduite d’une guerre urbaine. Bien que l’ouvrage ait fait l’objet de critiques (1), il est intéressant de faire un parallèle entre certaines des idées qui y sont développées et le contexte actuel de l’utilisation des plateformes sociales et des cyberattaques dans le cadre de la guerre que mène la Russie contre l’Ukraine.
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