Le tandem franco-allemand est confronté à de nombreux défis dont la divergence de perception des enjeux stratégiques. La crise ouverte par la guerre en Ukraine a poussé Berlin à accroître son effort de défense sans forcément renforcer la coopération avec la France. Il serait pourtant nécessaire de faire davantage converger les approches afin d’affronter les nouvelles menaces.
Le tandem franco-allemand au défi d’une coopération renforcée en matière de défense
The Franco-German Tandem and the Challenge of Greater Defence Cooperation
The Franco-German tandem is facing a number of challenges, among which lies a difference in perception of strategic matters. The crisis opened up by the war in Ukraine has pushed Berlin to increase its defence effort without necessarily strengthening its cooperation with France. Work would nevertheless have to be done on bringing the approaches closer together in order to confront new threats.
Le couple franco-allemand est perçu comme solide et moteur, dû à son histoire et son rôle incontournable dans la construction européenne. À ce titre, la France et l’Allemagne sont des acteurs essentiels de l’architecture de défense européenne, aucun autre partenariat bilatéral ne possédant autant de ressources et de savoir-faire communs (1). Le pilier européen semble attendu au tournant d’une « Europe de la défense », dans un contexte sécuritaire international caractérisé par un retour de la guerre de haute intensité en Europe et une montée des tensions globales. Toutefois, développer une coopération renforcée en matière de sécurité et de défense représente un défi majeur : des différences fondamentales subsistent entre la France et l’Allemagne, et enrayent cette ambition. Malgré un engagement politique fort, des projets opérationnels aboutis et approfondis, la perception immédiate des menaces et le cadre d’engagement de la force armée ne sont pas les mêmes de chaque côté du Rhin et conduisent à des stratégies de défense différenciées en matière opérationnelle et industrielle.
Le poids des divergences de perception
Bien qu’animé par une volonté politique forte, le partenariat de défense franco-allemand s’est heurté depuis la fin de la guerre froide à une divergence de perception des menaces. L’histoire et la situation géographique différenciée de la France et de l’Allemagne impliquent des différences de mentalités et donc des différences de perception des événements. L’invasion de l’Ukraine par la Russie fut par exemple perçue beaucoup plus intensément en Allemagne qu’en France (2). Géographiquement parlant, l’Allemagne est plus proche de la Russie et donc tend davantage à craindre son potentiel de nuisance. Le général Jean-Pierre Metz, ancien attaché de défense en Allemagne (2020-2023), rappelle que « Berlin est à 4 minutes de vol de missile supersonique tiré depuis l’enclave de Kaliningrad. (…) De Berlin, vous êtes plus rapidement à Kiev qu’à Nantes par exemple, donc vous avez une vraie notion de proximité » (3). Le choc émotionnel de la guerre en Ukraine, bien plus fort en Allemagne qu’en France, ne s’explique pas seulement par la proximité géographique, mais aussi par l’histoire de l’Allemagne, son empreinte dans l’est de l’Europe et sa relation complexe avec la Russie.
D’un point de vue historique, les pays européens marqués par l’expérience soviétique demeurent alertes vis-à-vis de la menace russe et privilégient la sécurité du flanc oriental qui n’était plus au cœur des priorités d’un certain nombre de pays d’Europe occidentale depuis le début des années 2000. Cette différence s’applique notamment aux politiques de défense française et allemande. Elle témoigne de cette divergence de perception des menaces : « la France regarde autant vers le sud que vers l’est. L’Allemagne n’a historiquement, d’abord, regardé que vers l’est » (4). Cette différence de perception des menaces engendre des discordances de stratégies et de priorités qui ont pu complexifier de facto la coopération franco-allemande en matière de défense.
Il reste 78 % de l'article à lire
Plan de l'article