L’Indo-Pacifique pourrait être un espace de coopération militaire entre la France et l’Allemagne, envoyant ainsi un signal d’implication de l’Europe pour la stabilité d’une région majeure pour l’économie mondiale. La France est déjà présente avec ses territoires et serait en mesure d’accueillir des forces allemandes, avec l’intérêt de nombreux pays de la zone.
Un couple militaire franco-allemand est-il nécessaire en Indo-Pacifique ?
Do We Need a Franco-German Joint Military Force in the Indo-Pacific?
The Indo-Pacific region is an area for potential military cooperation between France and Germany. Such cooperation would send a message of European commitment to the stability of that major region in terms of the global economy. France, with its territories, is already present and would be in a position to accommodate German forces to the benefit of numerous countries in the area.
Depuis que l’Union européenne (UE) a adopté une stratégie de coopération dans la région Indo-Pacifique en février 2022 (1), on constate la volonté européenne d’y retourner comme acteur de grande importance. Cela est particulièrement mis en évidence par les actions de la France et l’Allemagne qui accentuent leurs activités militaires sur les deux océans. Paris continue ses propres exercices militaires au sein de la région, notamment en envoyant des avions de combat et de transport supplémentaires en Pacifique Sud (2). Pour sa part, Berlin a participé aux opérations Kakadu (2022) et Talisman Sabre (2023) (3), et envisage de déployer deux frégates de plus dans la région pour 2024 (4). Cela constitue une évolution remarquable des contributions militaires européennes à la stabilisation géopolitique de l’Indo-Pacifique, tout en insinuant que les deux puissances européennes sont effectivement capables d’y assumer un rôle beaucoup plus conséquent que jamais.
Cependant, la présence militaire européenne et son importance ne sont pas encore assez ressenties et prises au sérieux par les partenaires clés d’Indo-Pacifique tels que l’Australie, la Corée du Sud et le Japon. Face à l’expansion géomilitaire de la Chine, ceux-ci s’appuient prioritairement sur les alliances anglo-saxonnes comme l’AUKUS et le Five Eyes. Cela s’explique, d’une part, par le fait que les États-Unis sont la première puissance militaire du monde et, d’autre part, par l’absence d’alliance militaire entre puissances européennes dans la région. Les activités militaires que la France et l’Allemagne mettent respectivement en œuvre au sein de l’Indo-Pacifique ne sont toutefois pas en mesure de contrebalancer le poids géomilitaire anglo-saxon autour de l’axe Washington-Londres. Dans ce contexte, n’est-il pas discutable de lancer une stratégie militaire bilatérale entre la France et l’Allemagne pour l’Indo-Pacifique ? Cela semble très significatif comme la première, ou ultime, étape pour améliorer la présence militaire européenne dans les deux océans, à l’heure où l’on parle en toute franchise de perte d’influence européenne à l’échelle planétaire.
Paradoxes et problèmes de l’absence du couple militaire franco-allemand dans la région
Jusqu’à présent, la France et l’Allemagne n’avaient pas en Indo-Pacifique une stratégie militaire bilatérale hautement coordonnée, contrairement à celle entre les États-Unis et la Grande-Bretagne ou l’Australie. Au fond, cela est assez peu compréhensible, puisque les deux puissances ont toujours eu les velléités fermes d’y agir ensemble d’après leurs stratégies pour l’Indo-Pacifique. D’ailleurs, elles partagent effectivement des objectifs communs de première importance, comme le maintien de l’ordre maritime dans le détroit de Taïwan. Malgré cela, il semble bien que la France et l’Allemagne ne veuillent pas y créer leur propre initiative militaire, indépendante de l’anglo-américaine. En réalité, il est souvent dit que les deux puissances européennes ont aussi des intérêts très différents concernant les deux océans, si bien qu’elles ne sont pas si motivées à y faire des actions conjointes. Certes, il est vrai que la priorité de la France est de défendre ses propres territoires et vastes Zones économiques exclusives (ZEE) dans la région, comme l’ancienne ministre des Armées Florence Parly l’a exprimé lors du Shangri-La Dialogue de 2019 (5). En revanche, il est difficile de contredire l’hypothèse que l’Allemagne, qui a été dépossédée de ses territoires dans la région depuis la fin de la Première Guerre mondiale, s’intéresse moins à l’engagement militaire qu’à la promotion du libre-échange, comme l’indique la stratégie allemande pour l’Indo-Pacifique (6). Pourtant, Français et Allemands n’hésitent pas à agir en solidarité stratégique avec les Anglo-saxons, les Japonais et les Indiens, dont les intérêts géomilitaires ne convergent pas toujours de façon profonde avec ceux européens. De plus, ces acteurs non-européens de la région ne font pas une grande confiance stratégique à la France et l’Allemagne : l’affaire des sous-marins australiens ayant démontré que Paris n’est pas considéré comme un partenaire prioritaire par les capitales anglo-saxonnes (7).
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