Le régiment Azov, un nationalisme ukrainien en guerre
Le régiment Azov, un nationalisme ukrainien en guerre
On a beaucoup parlé du régiment Azov qui, pendant près de trois mois, a résisté, au printemps 2022, dans les souterrains de l’usine Azovstal à Marioupol, avant d’être contraint à se rendre afin d’éviter un bain de sang inutile. Au nombre de 2 500 au début du siège, ses combattants ne seront plus que 900 qui acteront leur reddition aux côtés du millier de militaires survivants. À ce jour, les morts, principalement civils survenus à Marioupol, sont évalués entre 5 000 et 20 000. Adrien Nonjon, doctorant au centre de recherche Europe-Asie, qui observe depuis 2014, la question du rôle tenu par l’extrême droite radicale dans l’Ukraine ravagée par la guerre a cherché à en décrypter la véritable nature. Il n’est pas facile de réduire Azov à une simple épithète : « Nationalisme », « patriotisme », « bandérisme », « néonazisme » ? Au moins une vingtaine de définitions lui ont été collées.
Apparu au lendemain de la révolution du Maïdan en 2014, dans le sillage des quelque 7 000 volontaires qui se sont engagés dans la Anti Terrorist Operation Zone (ATO) pour contrer l’avance des séparatistes du Donbass appuyés par la Russie, Azov a d’abord attitré l’attention par ses étranges insignes faisant allusion à la symbolique du IIIe Reich et ses phalanges semblables à celles des SS. Quand bien même ces forces combattantes ne représentaient qu’une infime minorité, leur intégration au sein de la Garde nationale, une institution rattachée au ministère de l’Intérieur, n’a fait que nourrir les polémiques concernant les éventuelles convergences entre cette unité et l’État. La confusion a été entretenue par le fait qu’une partie des soldats s’est constituée en parti politique, Corps national, qui n’a pas franchi la barrière de 5 % des voix.
Un des passages les plus intéressants de ce livre porte sur les théories du mouvement qui se cristallisent autour d’un puissant concept géopolitique d’« Intermarium ». Dans les années 1920, le maréchal Piłsudski, chef d’État de la République de Pologne, chercha à récupérer les territoires perdus lors des partages de la Pologne de 1772, 1776 et 1795. Il visait à associer, dans une fédération placée sous son hégémonie, l’Ukraine, la Biélorussie et la Lituanie, estimant que c’était le meilleur moyen de s’opposer à l’influence russe, qu’elle fût communiste ou blanche, puis de donner à la Pologne les frontières orientales qu’elle méritait. Sa vision géopolitique se heurtait cependant à deux obstacles majeurs. Les dirigeants de la Russie soviétique, rêvant de révolution mondiale, fomentaient des troubles insurrectionnels dans toute l’Europe. Dans les années 1930 le maréchal Piłsudski, de facto chef d’État, devenu ennemi de la Russie, après avoir, avant la révolution d’Octobre 1917, conclu une coalition avec les communistes ou sujets russes révoltés contre leur patrie ou contre l’Empire usurpateur, avait lancé l’idée de l’Intermarium, alliance politico-militaire qui rassemblerait les pays de la Baltique à la mer Noire, avec pour objectif d’isoler la Russie. De fait, la perspective de voir surgir à ses portes un bloc de 100 millions d’habitants ne pouvait que provoquer à Moscou les plus vives alarmes. Ce n’était nulle fantaisie. Des responsables ukrainiens ont caressé l’idée de la constitution d’une alliance allant d’Ankara à Tallinn dont le but serait de contenir la Russie. L’Ukraine aurait formé le maillon central d’un nouveau cordon sanitaire autour de la Russie. Un tel dessein permettait aux élites russes de cultiver le slogan de « forteresse assiégée » un trauma plongeant dans l’histoire profonde de la Russie des tsars et de la patrie du socialisme, et de formuler leur crainte de la voir assaillie par des puissances extérieures. D’où la nécessité, pour ce pays aux dimensions continentales, d’avoir des « frontières épaisses » pour reprendre l’expression de Sabine Dullin (1), historienne spécialiste de l’histoire russe et soviétique.
Quoi qu’il en soit, les militants azoviens souhaitaient, à travers l’Intermarium, revivre et enraciner l’idée d’identité et de civilisation européenne. Autrefois périphérique à l’Europe, l’ultranationalisme ukrainien tente par cette doctrine d’établir des convergences avec les autres composantes idéologiques européennes qui lui sont proches, point de départ d’une révolution nationale paneuropéenne. ♦
(1) La frontière épaisse. Aux origines des politiques soviétiques (1920-1940), Éditions de l’EHESS, 2014, 360 pages.