Conduire la Guerre – Entretiens sur l’art opératif
Conduire la Guerre – Entretiens sur l’art opératif
Lorsque deux historiens militaires français de haut niveau publient, sous forme de dialogue, leurs échanges autour de l’art opératif, le résultat est à la hauteur des espérances : passionnant. Mobilisant leurs vastes connaissances de la conflictualité à l’époque contemporaine et leur expertise de la pensée militaire soviétique, les deux partenaires offrent un parcours intellectuel à la fois clair et concis autour de cette notion souvent invoquée mais généralement mal comprise qu’est l’art opératif. Ni stratégie, ni tactique, ni simple « niveau opérationnel de la guerre », ce concept est au cœur de la question clausewitzienne de savoir « comment employer les combats favorablement à la guerre ». Car si la stratégie poursuit des buts et si la tactique cherche à résoudre des problèmes dans les combats, l’art opératif, qui prend corps au début du XXe siècle avec les travaux de Sviétchine (1927), permet quant à lui à la violence d’être efficace. Derrière cette finalité en apparence simple, se cache en réalité une maïeutique intellectuelle qui n’a rien d’évident, et que Benoist Bihan et Jean Lopez se proposent justement de décortiquer.
En alternant les développements théoriques et les exemples historiques, Conduire la Guerre met en lumière l’essence de l’art opératif et les rapports qu’il entretient avec la stratégie et la tactique, ces deux pôles animés par des logiques différentes et que cet « art » cherche justement à faire converger. Au gré de leurs échanges sous forme de questions-réponses, les auteurs convoquent et explorent la pensée de Sviétchine, et notamment son découpage de la conflictualité en grandes dialectiques (anéantissement versus attrition, offensive versus défensive, manœuvre versus position) dont l’actualité est criante pour qui observe la guerre en Ukraine.
Parmi les leçons qui émergent de ces échanges entre les deux stratégistes, on retiendra que l’art opératif n’est pas une fin en soi et que sa maîtrise ne dispense en aucun cas de l’existence d’une ligne de conduite stratégique cohérente : un appel, pour les militaires, à penser les situations en termes stratégiques et à ne pas se limiter à « planifier » ce que le politique ordonne en se réfugiant dans l’art opératif. On relèvera aussi la liberté de ton des auteurs lorsqu’ils évoquent la crise de la pensée militaire en France à partir de l’entrée dans l’ère de la dissuasion nucléaire dans les années 1960, mais également lorsqu’ils abordent les causes du repli de l’art opératif en Occident, en raison de l’incapacité chronique de ce dernier à se fixer des « buts positifs » depuis la fin de la guerre froide.
Conduire la Guerre est donc une lecture vivifiante, qui mobilise avec succès la richesse de l’école russe du début du XXe siècle pour mieux éclairer les forces à l’œuvre et les défis à relever dans les conflits du XXIe siècle. ♦