Conclusions
En faisant part ci-après à nos lecteurs des réflexions personnelles que les débats nous ont inspirées, nous n’entendons d’aucune façon, répétons-le, arbitrer entre les opinions, assez souvent divergentes, qui ont été émises, non plus que tenter de dégager un point de vue « maison » sur les risques entraînés par la prolifération nucléaire militaire dans le Tiers-Monde et sur les remèdes à y apporter.
La première catégorie des questions que nous avions posées à nos invités concernait le processus de prolifération lui-même. Sur ce sujet, les débats nous ont laissé une impression d’optimisme relatif, ou en « zigzag » pour reprendre l’heureuse formule d’un de nos orateurs. Cette impression résulte surtout de la constatation que, jusqu’à présent, un seul pays du Tiers-Monde, l’Inde, a osé avouer s’être doté d’une capacité nucléaire. Et encore, lorsqu’elle en a fourni la démonstration, en 1974, c’est-à-dire il y a déjà huit ans, en faisant exploser une bombe, proclama-t-elle que cet essai avait été effectué dans une intention purement « pacifique ».
Il semble bien d’autre part que, depuis 1959, année de la rupture de la coopération nucléaire militaire entre l’Union soviétique et la Chine, aucune puissance nucléaire n’ait sérieusement envisagé de transférer des armes atomiques à ses alliés ou à ses protégés du Tiers-Monde (1).
Il apparaît donc que reste très puissant dans le Tiers-Monde l’« interdit » nucléaire, pour employer un mot que nous préférons à « tabou » dans la mesure où ce dernier a maintenant un relent d’obscurantisme qui justifie donc qu’on puisse le violer.
Notre satisfaction doit cependant être tempérée par le peu d’efficacité des dispositifs mis en place par la communauté internationale et par les États fournisseurs de technologie nucléaire à usage civil, pour empêcher la production clandestine ou le détournement de matières fissiles à usage militaire. La preuve en est fournie non seulement par le cas avoué de l’Inde, mais aussi par ceux, probables d’Israël et de l’Afrique du Sud, ou par ceux, virtuels, du Pakistan et de l’Irak.
Ces échecs nous conduisent à penser que, s’il reste important de renforcer, au niveau international et national, les précautions techniques nécessaires pour freiner l’exportation d’installations proliférantes (2) ou le détournement de matières fissiles, les solutions à mettre en place sont d’abord d’ordre moral, comme la moralisation de la concurrence, l’appel au sens des responsabilités (3) et le contrôle de l’opinion publique (4).
Parallèlement à cet effort en quelque sorte pédagogique, des solutions de caractère politique doivent être également recherchées, puisque les pays qui veulent se doter de l’arme atomique y sont en général poussés par un souci grave d’insécurité. Telle paraît être la voie dans laquelle se sont engagés les États-Unis avec l’administration Reagan, qui privilégierait maintenant la prévention plutôt que la sanction. Il faut constater cependant qu’une telle politique n’est pas, elle non plus, sans risques, puisqu’elle aboutit normalement, de la part des puissances nucléaires, à la fourniture d’armements conventionnels ou à l’acceptation de garanties militaires, voire nucléaires. Elle ne répond pas, d’autre part, à une autre motivation qui est parfois puissante dans le Tiers-Monde, celle d’une démonstration de prestige international ou même intérieur (5).
La transparence des transferts et le contrôle de l’opinion publique, préconisés plus haut, ne sont pas, de toute évidence, applicables aux pays communistes, mais on admet généralement que l’URSS a toujours montré un grand sens des responsabilités en ce qui concerne la prolifération nucléaire dans le Tiers-Monde. C’est en tout cas ce que l’on constate depuis sa rupture avec la Chine, vis-à-vis de laquelle elle s’était engagée à donner l’arme nucléaire, et si l’on excepte sa tentative de mise en place de missiles nucléaires à Cuba, qui n’avait pas le caractère de prolifération horizontale au sens que nous lui avons donné dans ce dossier. On peut remarquer à ce sujet que, lorsqu’il s’agit de ses satellites, la prudence soviétique en matière de prolifération coïncide parfaitement avec ses intérêts. Mais qu’en sera-t-il plus tard de la politique de la Chine à cet égard (6) ? Voilà ce qui reste une sérieuse inconnue pour l’avenir.
Nos lecteurs auront probablement remarqué que les personnalités qui ont participé à notre réunion-débat n’ont pas commenté la politique française à l’égard de la prolifération horizontale, alors que celle-ci venait d’être mise en cause assez sévèrement par les deux livres que nous avons mentionnés dans notre présentation, à propos d’Israël et de l’Irak (7). Sans que nous ayons cherché à éviter ce sujet, nous donnons raison à nos invités, puisque le but que nous leur avions proposé n’était pas de ratiociner sur le passé, mais de contribuer, par leurs réflexions, à préparer l’avenir. Or, la détermination de cet avenir en la matière incombe au président de la République, assisté par le « Conseil de politique nucléaire extérieure », qui a été créé à cet effet en 1976 et qui dispose maintenant des dossiers contradictoires établis à la suite de l’affaire de Tamuz (8).
Aussi en venons-nous maintenant au deuxième objectif de notre réunion-débat qui consistait à réfléchir sur les conséquences stratégiques de la prolifération nucléaire dans le Tiers-Monde. Les réflexions de nos invités sur ce sujet étaient, pour nous, les plus attendues puisque, s’il a beaucoup été écrit au sujet du processus de prolifération lui-même, en particulier aux États-Unis (9), il existe très peu de publications, même américaines, ayant traité, de manière prospective, de ses conséquences militaires et politiques (10).
Notons d’abord, comme l’a fait très justement un de nos invités, qu’« explosion atomique » ne signifie pas fatalement, et en tout cas pas immédiatement, bombe atomique, et que bombe atomique ne signifie pas non plus, fatalement et immédiatement, arme atomique. Pour disposer d’une capacité nucléaire militaire, il faut en effet posséder non seulement plusieurs bombes mais, aussi et surtout, des vecteurs capables de les mettre au but, c’est-à-dire au minimum des avions de combat adaptés à cet usage et, mieux, des missiles à moyenne ou à longue portée.
C’est pourquoi il paraît utile de distinguer dans le Tiers-Monde les trois niveaux suivants de prolifération : seuil nucléaire, arme nucléaire symbolique, force nucléaire crédible. Les deux premiers niveaux, qui correspondent probablement à la situation respective du Pakistan et de l’Inde, ont déjà, indubitablement, une signification politique. Mais seul le troisième niveau, qui est celui atteint, selon toute vraisemblance, par Israël (11), commence à modifier les données stratégiques, et encore au plan régional seulement, compte tenu du caractère rudimentaire des arsenaux nucléaires envisageables dans un avenir prévisible.
Les autres pays du Tiers-Monde, que les observateurs considèrent généralement comme des candidats possibles à la possession de l’arme atomique (12), n’atteignent donc pas encore le seuil nucléaire, celui qui commencerait à avoir une signification politique. De plus, l’énumération de ces pays montre bien que les motivations qui les poussent à songer, peut-être, à se doter de cette arme sont relatives essentiellement à la stabilité régionale : rapports de force entre voisins hostiles ou peur d’être abandonnés par son allié traditionnel.
Nous sommes donc encore loin, dans le temps, d’un monde nucléaire multipolaire, celui dont certains prophètes au caractère résolument optimiste, pour ne pas dire utopique, déclarent qu’il pourrait être, pour cette raison, plus stable parce que plus démocratique, et aussi parce que la dissuasion, en se banalisant, étendrait alors au Tiers-Monde ses bienfaits pacifiants. Que voilà un pari dangereux !
Mais nous, qui entendons rester réalistes, nous bornerons notre réflexion prospective aux quinze prochaines années, c’est-à-dire que nous continuerons à la situer dans notre monde bipolaire actuel, celui où la dissuasion nucléaire stratégique, qui existe de fait entre l’Ouest et l’Est, conduit à transférer leurs affrontements dans le Sud, là où les risques d’escalade sont moins grands.
Nous laisserons ici de côté ces affrontements eux-mêmes puisqu’ils ne sont pas l’objet du présent débat, et nous nous en tiendrons donc aux conflits internes au Tiers-Monde, que la rivalité Est-Ouest contribue à favoriser. La première question qui nous vient à l’esprit sur ce sujet concerne la possibilité de transporter dans le Tiers-Monde, et par suite au niveau régional, les différents concepts de maniement de la menace nucléaire, tels qu’ils sont compris en Occident, c’est-à-dire dissuasion du fort au fort, dissuasion du faible au fort, riposte adaptée, neutralisation réciproque au plan nucléaire, voire même aptitude à gagner une bataille nucléaire.
C’est évidemment dans la région du Moyen-Orient où les réponses à cette question nous préoccupent particulièrement, puisqu’Israël dispose probablement d’une force nucléaire crédible et que l’existence d’une « bombe islamique » apparaît comme prochaine à beaucoup d’observateurs. Certains ont pu affirmer qu’une certaine dissuasion aurait déjà joué dans cette région, en 1973, lors de la guerre d’octobre où Israël, sur le point d’être défait, aurait songé à employer sa force nucléaire, ce qui aurait amené l’Égypte à arrêter son avance. On ajoute parfois que l’URSS aurait alors transféré en Égypte des missiles Scud qui peuvent être armés de têtes nucléaires (13). Quoi qu’il en soit de la réalité historique de cet épisode, on peut admettre que le scénario décrit est vraisemblable et qu’il mérite réflexion.
Quant à nous, nous pensons cependant que la dialectique de la dissuasion, telle que nous l’entendons à l’Ouest, ne peut pas être transposée à l’identique dans le Sud, pour plusieurs raisons. D’abord, et cela n’implique de notre part aucun jugement de valeur, les modes de raisonnement, pour ne pas dire les rationalités, n’y sont pas les mêmes, par suite des différences profondes entre les cultures. Mais surtout, dans le Tiers-Monde, le petit nombre d’armes atomiques éventuellement disponibles et leur grande vulnérabilité rendent des attaques préemptives plus vraisemblables, tandis que l’urbanisation et l’industrialisation, généralement moins denses, y rendent moins terrifiante la menace de représailles anti-cités.
De plus, dans le Sud, le contrôle des armes nucléaires par le pouvoir politique et le haut-commandement pourra difficilement avoir la même rigueur que dans le Nord. Il en résulte donc des risques accrus d’emploi prématuré ou d’erreurs, ainsi que des risques d’accident ou de détournement, impensables ailleurs.
En définitive, le danger nous paraît grave que la manipulation des armes nucléaires dans le Tiers-Monde puisse déboucher sur des drames de ce type, ou même sur des opérations de chantage. Mais nous abordons là le sujet du terrorisme nucléaire, qu’il soit d’État ou de faction, domaine qui mériterait une réflexion particulière.
Jusqu’à présent nous n’avons analysé, très brièvement, que les modifications que pourrait apporter aux conflits entre pays du Sud l’introduction de l’arme nucléaire dans leurs arsenaux. Il conviendrait aussi d’examiner dans quelle mesure leur apparition pourrait constituer une menace pour les pays du Nord.
Dans l’état actuel de la prolifération nucléaire à usage militaire, il faut constater que la géographie veut que ce soit l’Union soviétique qui paraisse le plus immédiatement concernée, avec la Chine toutefois. Certains ont même pensé que les fameux SS-20 pourraient, pour cette raison, avoir aussi une vocation asiatique. Mais on peut observer que la fabrication de l’arme nucléaire, disons par le Mexique ou l’Algérie, sans que ces exemples impliquent d’aucune façon que nous leur en prêtions l’intention, poserait des problèmes analogues aux États-Unis ou à la France.
À moyen terme, c’est cependant sur mer, surtout, que la multiplication des armes nucléaires dans le Tiers-Monde peut avoir des conséquences stratégiques graves. En effet, la tentation de leur emploi, ou de la menace de leur emploi, contre des forces navales du Nord peut y surgir dans certaines circonstances, par exemple à l’occasion de revendications de souveraineté sur les espaces océaniques qui s’y multiplient. Et il est probable que les opinions publiques internationales seraient moins sensibilisées à une éventuelle explosion en mer, pour laquelle les dommages collatéraux ne seraient pas à craindre et où les seules victimes seraient des marins. Imaginons par exemple un instant ce qui aurait pu se produire l’année dernière dans le Golfe de Syrte, si les avions libyens qui ont attaqué la 6e Flotte américaine avaient été armés de bombes atomiques. Imaginons aussi quel pourrait être le déroulement de l’actuelle affaire des Falklands, si l’Argentine était en possession de l’arme nucléaire, comme on pense généralement qu’elle pourrait l’être d’ici cinq ans. Il y a donc là encore un domaine qui mériterait une réflexion particulière.
Le risque d’un emploi de l’arme nucléaire dans le Tiers-Monde, que ce soit au cours d’un conflit entre pays du Sud ou dans un affrontement Sud-Nord, ne peut donc, à notre avis, être écarté. Aussi serait-il utile maintenant de nous interroger sur les conséquences d’un tel emploi, ne serait-ce que pour renforcer la dissuasion à y recourir.
Tout d’abord, on peut penser que le responsable de cet emploi serait mis au ban de l’humanité et que la communauté internationale volerait au secours de la victime, surtout si elle appartient au Tiers-Monde. Une obligation dans ce sens est d’ailleurs prévue depuis 1968 dans une résolution de l’ONU (14), qui précise que les puissances nucléaires doivent aide et assistance aux victimes d’une agression nucléaire et à ceux menacés par une telle agression. Cette résolution implique donc une sorte de garantie virtuelle des pays nucléaires, garantie qui aurait été formulée effectivement dans trois circonstances, au plan bilatéral, par chacune des deux superpuissances : les États-Unis à l’égard du Pakistan en 1959 et l’URSS à l’égard de l’Inde en 1960 et de l’Égypte en 1966 (15). On voit donc apparaître dans de telles occasions le risque d’entraînement des puissances nucléaires dans un conflit nucléaire qu’elles n’auraient pas voulu. Des précautions contre cette éventualité ont d’ailleurs été prévues entre les États-Unis et l’Union soviétique, par un accord conclu entre MM. Brejnev et Nixon en 1973 (16).
Nous écartons tout à fait l’éventualité d’une menace atomique de la part d’un pays nucléaire du Nord contre un pays du Tiers-Monde. Celle-ci nous paraît en effet définitivement frappée par l’« interdit » nucléaire, pour des raisons tant morales que politiques, depuis les tentations avortées qui ont surgi autrefois à l’Ouest, lors des désastres de Corée ou de Dien Bien Phu, ou à l’Est, à l’occasion des défaites de l’Égypte.
Mais nous nous demandons cependant si un engagement solennel de la part de tous les pays nucléaires du Nord concernant le non-emploi de l’arme nucléaire contre un pays du Tiers-Monde ne pourrait pas constituer une précaution utile de leur part (17), afin d’écarter le danger d’une erreur de calcul qui risquerait de les entraîner au niveau nucléaire, à l’occasion d’un conflit du Tiers-Monde. Un tel engagement constituerait en outre un argument puissant pour encourager les pays du Tiers-Monde à ne pas se « nucléariser ».
Pour se prémunir contre les risques résultant des conflits nucléaires dans le Tiers-Monde que nous venons d’évoquer, on a préconisé également la conclusion de traités régionaux de dénucléarisation aboutissant à la création de zones dénucléarisées, ou plus exactement « non-nucléarisées ». Comme nous l’avons mentionné dans notre présentation, l’Antarctique et l’Amérique du Sud ont été ainsi constituées en zones non-nucléarisées. Mais, pour ce qui concerne cette dernière, on peut constater que ni l’Argentine ni le Brésil, qui sont dans cette région apparemment les deux seuls candidats actuels à la bombe, n’ont ratifié le traité qui en prescrit la non-nucléarisation (18). Et la même proposition, lorsqu’elle a été présentée récemment pour l’Océan Indien, a rencontré l’opposition formelle de l’Inde, seul pays riverain ayant acquis jusqu’à présent la capacité nucléaire (19). Nous sommes donc bien obligés de rester sceptiques quant au succès prochain de cette solution.
Dans les lignes qui précèdent nous n’avons pas évoqué le risque d’escalade au niveau nucléaire qui pourrait surgir lors d’éventuels affrontements survenant dans le Tiers-Monde entre puissances de l’Est et de l’Ouest, par exemple à propos d’un enjeu important qui y serait situé. Comme nous l’avons déjà noté, cette omission est voulue puisque nous avons entendu limiter notre propos aux dangers résultant des seules armes nucléaires en possession des pays du Tiers-Monde. Mais le danger en question n’est pas à négliger pour autant, car il pourrait surgir effectivement, sur mer notamment et dans le Golfe en particulier, où des intérêts vitaux sont en jeu, à partir du moment où les forces aéronavales des deux adversaires qui y sont déployées, et peut-être aussi les forces expéditionnaires qui pourraient y être envoyées, sont munies d’armes nucléaires tactiques. On peut penser cependant que les deux superpuissances éviteront jusqu’à l’extrême limite la confrontation directe, comme elles l’ont toujours fait jusqu’à présent. On peut penser aussi que la dissuasion mutuelle au niveau stratégique reprendrait son efficacité dans cette éventualité (20).
Mais le moment est venu pour nous de conclure cette rapide analyse.
La question que nous nous étions posée à l’occasion de notre réunion-débat était en définitive celle-ci : la prolifération nucléaire dans le Tiers-Monde constitue-t-elle un réel danger, puisqu’on paraît avoir tendance, généralement, à en minimiser les risques par rapport à la prolifération qui sévit chez les superpuissances. Et il est de fait que la prolifération « horizontale » ne peut porter dans un avenir prévisible que sur quelques centaines de kilotonnes, alors que la prolifération « verticale » se monte dès à présent à plusieurs milliers de mégatonnes, c’est-à-dire a dépassé le niveau de l’absurde.
Malgré la lenteur du processus de prolifération horizontale qui a été constatée jusqu’à maintenant et qu’on peut espérer voir se maintenir dans la décennie à venir, nous pensons cependant avoir montré que les conséquences dangereuses de cette prolifération, telles qu’elles se dessinent, sont loin d’être négligeables dès à présent, au plan régional d’abord et essentiellement, et aussi, dans certaines éventualités, au plan mondial, par effet d’entraînement.
Mais le danger qui en résulte nous paraît être surtout, actuellement, de nature politique et psychologique, pour les trois raisons suivantes :
• C’est dans le Tiers-Monde surtout que se manifeste et que se manifestera le changement de notre monde actuel, et un changement qui serait dominé ou même simplement appuyé par les armes nucléaires serait a priori chargé de périls pour le genre humain.
• La multiplication dans le Tiers-Monde des pays dotés de l’arme nucléaire rendrait difficile le maintien dans l’abstention des pays du Nord qui, tout en ayant amplement les moyens de la fabriquer, ont accepté spontanément ou par traité d’y renoncer.
• Enfin, la prolifération horizontale rendrait plus probable l’emploi de l’arme nucléaire, par accident, par erreur de calcul ou dans un geste irrationnel. Et c’en serait alors fini de l’« interdit nucléaire », avec les conséquences très graves qui en résulteraient, puisque l’arme nucléaire perdrait une partie de sa valeur dissuasive et qu’on entrerait alors dans l’ère de sa banalisation (21).
C’est pour ces raisons que, tout en ayant bien conscience que l’affrontement Est-Ouest reste le problème majeur de notre époque dans le domaine de la défense, il nous paraît important d’approfondir les réflexions sur les différents problèmes évoqués dans le présent dossier, à propos des armes nucléaires dans le Tiers-Monde.
Les quelques idées que nous avons exprimées à titre personnel, répétons-le une dernière fois, n’ont pas d’autre prétention que d’inciter nos lecteurs à poursuivre leurs propres réflexions sur ce sujet, lequel mérite, par sa gravité, de faire partie de leurs préoccupations. ♦
(1) Nous admettons que le transfert de missiles capables de transporter une arme nucléaire ne constitue pas, en lui-même, un acte de prolifération. En ce qui concerne le transfert d’armes nucléaires, la presse américaine a fait état de demandes présentées par l’Égypte à l’URSS en 1965 et à la Chine en 1967, qui auraient essuyé des refus catégoriques.
(2) C’est-à-dire surtout les réacteurs électronucléaires à eau lourde, les réacteurs de recherche de grande puissance, les petites installations de retraitement ou d’enrichissement (voir Présentation, Annexe n° 1).
(3) Le « Club de Londres » a été créé dans ce but, et la conférence de l’Évaluation internationale du cycle du combustible nucléaire (INFCE) a déjà contribué à cette pédagogie de la responsabilité (voir Présentation, Annexe n° 2).
(4) Tel paraît être le point de vue du président de la République lorsqu’il a déclaré : « Dans ce genre de choses, la meilleure garantie est qu’il n’y ait rien de secret et que s’exerce le contrôle de l’opinion elle-même » (interview donné au Washington Post après l’affaire de Tamuz et reproduit dans Le Monde du 19 juin 1981).
(5) Voir à ce sujet le livre « Nuclear myths and Realities; India’s dilemma », de K. Subrahmanyan, directeur de l’Institute for defence studies and analysis de New Delhi, analysé dans la revue Survival de janvier-février 1982.
(6) Voir débats. Il semble que la Chine ait vendu, sans contrôle, de l’uranium et de l’eau lourde à l’Argentine, qui n’a pas signé le traité de non-prolifération et n’a pas ratifié le Traité de Tlatelolco sur la dénucléarisation de l’Amérique latine. Mais, de son côté, la Suisse aurait aussi accepté de livrer à l’Argentine une unité de fabrication d’eau lourde.
(7) Les deux bombes et The Islamic Bomb, voir Présentation. Pierre Emeury, conseiller technique du Président de la République pour les affaires nucléaires entre 1978 et 1981, a répondu à leur mise en cause dans Le Point du 19 avril 1982.
(8) Contradictoire en particulier quant au caractère proliférant ou non du combustible « Caramel », au sujet duquel semblent s’opposer le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et plusieurs personnalités scientifiques, comme en fait état un communiqué remis à la presse le 11 mars 1982.
(9) Voir, encore récemment, l’intéressant article paru dans Foreign Affairs de printemps 1981 et intitulé : « Reassessing nuclear non-prolifération policy », par Gérard Smith, représentant spécial du président des États-Unis pour les affaires de non-prolifération de 1977 à 1980, et par Georges Rathjens, professeur au MIT.
(10) Voir cependant l’article paru dans Adelphi Papers (IISS) d’automne 1980. intitulé : « Perceptions of the stratégie balance and third world conflicts » par Thierry de Montbrial, directeur de l’Institut français des relations internationales, ainsi que le livre intitulé : Nuclear arms and the third world. US Policy dilemma, par Ernest Lefever, président du Centre d’études politiques et éthiques de Washington, et publié en 1979 par The Brookings Institution (traduit en français sous le titre Les armes nucléaires dans le Tiers-Monde, Economica, printemps 1981).
(11) D’après la presse, la CIA créditait Israël, en 1976, de dix à vingt bombes atomiques à fission, c’est-à-dire kilotonniques, et de missiles Jericho d’une portée de 500 kilomètres, adaptés à leur mise en œuvre.
(12) C’est-à-dire Irak, Iran, Libye, Égypte, Taïwan, Corée du Sud, Argentine, Brésil, le cas de l’Afrique du Sud étant mis à part.
(13) Voir Ernest Lefever, op. cit.
(14) Résolution 255 du 19 juin 1968 du Conseil de sécurité adoptant la proposition tripartite (États-Unis, URSS, Royaume-Uni) du 7 mars.
(15) Voir Ernest Lefever, op. cit.
(16) Accord entre États-Unis et URSS du 22 juin 1973 pour la prévention de la guerre nucléaire (voir Présentation, Annexe n° 2).
(17) En 1978, la France a indiqué que : « le choix, par les États d’une région de conserver une situation non-nucléaire devrait entraîner pour les puissances nucléaires l’obligation de ne pas chercher à en tirer un avantage militaire. Les puissances nucléaires devraient en particulier s’interdire, selon une formule à définir, tout recours à l’emploi et à la menace de l’arme nucléaire contre les États faisant partie d’une zone non-nucléaire. »
(18) Traité de Tlatelolco du 14 février 1967 interdisant les armes nucléaires en Amérique latine.
(19) Le 12 décembre 1980, aux Nations unies, l’Inde (avec le Boutan et Maurice) vote contre une résolution de principe de non-nucléarisation de l’Asie du Sud. Elle avait rendu vain ce projet dès 1974, en faisant admettre par l’ONU qu’il ne pourrait être adopté qu’avec l’accord de tous les États de la région, ce qui attribuait à chacun d’eux un droit de veto.
(20) Thierry de Montbrial, op. cit.
(21) La même idée a été exprimée par le général Lacaze, chef d’état-major des années, dans l’interview parue dans Le Point du 26 mars 1982.