La reconfiguration du Moyen-Orient est une réalité constante avec une implication historique de la France comme acteur diplomatique et militaire. D’où le besoin de comprendre l’histoire « compliquée » de la région pour en tirer les leçons encore nécessaires aujourd’hui. C’est la proposition de ce dossier pour éclairer cette compréhension d’un passé récent encore prégnant.
Armées françaises et crises récentes du Moyen-Orient : une histoire qui reste à écrire
French Forces and Recent Crises in the Middle East: a Story Yet to be Written
Historically, France has been a committed diplomatic and military player in the continual reconfiguration of the Middle East. We therefore have to understand the complex history of the region in order to learn lessons that remain relevant today. This essay proposes to shed some light on this need for understanding of a recent past that still has resonance.
Quarante ans après l’attentat du Drakkar qui a coûté la vie à 58 soldats français (rappelons en parallèle les 241 soldats américains et les 6 Libanais tués ce même 23 octobre 1983), l’attaque terroriste du groupe Hamas contre Israël s’inscrit dans le cadre du conflit israélo-palestinien. Ce dernier a de puissants échos transnationaux, pèse sur les imaginaires et sert à justifier des actes terroristes, y compris loin d’Israël et de Palestine comme l’a douloureusement montré l’attentat au lycée d’Arras au cours duquel Dominique Bernard a été assassiné. Les actes ici réunis du colloque organisé par le Service historique de la Défense (SHD) s’inscrivent dans le cadre de la politique mémorielle du ministère des Armées pour entretenir le souvenir des tués du Drakkar ; ils se donnent également pour objectif de proposer une analyse historique de la période qui court de la crise de 1973 avec la guerre de Kippour (1) à la crise de 2003, notamment marquée par le refus français de s’engager militairement aux côtés de l’allié américain en Irak (2). Pour le dire autrement, dans le contexte tragique actuel du Moyen-Orient, il paraît fondé de replacer les faits d’aujourd’hui dans une perspective historique. Si la mémoire des pertes militaires de la crise des années 1980 est nécessaire comme outil de lien social, elle ne peut se construire sans un solide socle fourni par une histoire scientifique.
A fortiori, pour le Moyen-Orient « compliqué » (pour reprendre l’aphorisme du général de Gaulle), seule une bonne contextualisation des faits à plusieurs échelles permet de bien appréhender des événements. Il convient également de les replacer dans différentes dynamiques historiques d’une région particulièrement crisogène. De la guerre israélo-arabe d’octobre 1973 à l’invasion de l’Irak en 2003 par une coalition occidentale menée par les États-Unis, le Moyen-Orient est secoué par une succession de conflits. Ces affrontements résultent aussi bien de logiques de puissance développées par des acteurs régionaux (guerres israélo-arabes, guerre Iran-Irak, invasion du Koweït en 1990), de processus de déstabilisation interne des États (guerres civiles libanaise et yéménite, révolution islamique d’Iran) que de l’intervention de puissances extérieures (compétition entre les États-Unis et l’Union soviétique durant la guerre froide, action dans les années 1980 contre des États soutenant le terrorisme tels que la Lybie, invasion de l’Irak en 2003) sans que chacun de ces facteurs n’en exclût un autre.
L’historiographie a déjà bien labouré les différents conflits et le rôle des acteurs régionaux. Outre les travaux des chercheurs auteurs des articles qui suivent, on peut notamment penser aux publications d’Alain Dieckhoff (sur le conflit israélo-arabe), de Pierre Razoux (sur la guerre de Kippour ou Iran-Irak), de Jean-Pierre Filiu, d’Henry Laurens ou Georges Corm dans des approches plus régionales. À la suite de l’historien norvégien Odd Arne Westad, la relecture de la guerre froide pour la décentrer du théâtre européen avec la Global Cold War offre de nouvelles approches du rôle des deux Grands, URSS et États-Unis (3). Les travaux récents proposent notamment une relecture de la chronologie de la sortie de guerre froide et font du Moyen-Orient un lieu et un moment privilégié de ce point de vue. Pour l’historien Rashid Khalidi, l’absence de réaction soviétique au déploiement franco-américano-italien de la Force multinationale d’interposition au Liban en 1982 en fait un moment clé de cette sortie de guerre froide (4). Le Pays du Cèdre est bien le principal et ultime lieu de confrontation des deux blocs en Méditerranée avec le jeu des acteurs clients des deux Grands.
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