La dissuasion nucléaire est au cœur de notre politique de défense depuis 60 ans. Si la France a toujours fait effort pour assurer la crédibilité de la dissuasion, l’Europe confrontée à la guerre imposée par la Russie à l’Ukraine est en train de réapprendre cette grammaire nucléaire. Celle-ci est, plus que jamais, au centre des enjeux pour garantir la sécurité du continent européen, aujourd’hui directement menacée.
Préambule – « L’Europe est en train de réapprendre la grammaire nucléaire »
Entretien sur la dissuasion nucléaire française
Preamble–Europe Relearns Nuclear Language
Discussion of French Nuclear Deterrence
Nuclear deterrence has been at the centre of our defence policy for 60 years. France has always acted to ensure the credibility of deterrence, yet in the face of the war waged by Russia against Ukraine, Europe more widely is having to relearn nuclear language. Nuclear dialogue is more than ever central to the challenge of ensuring the security of the European continent, which is now directly threatened.
Le contenu publié en 2018 était le fruit d’un travail que j’avais mené lorsque j’étais au Centre des hautes études militaires (CHEM) et qui m’avait permis de rencontrer l’ensemble des acteurs et stratèges du sujet. J’ai pu ainsi me livrer à un travail prospectif qui m’avait conduit à parler d’un « nouvel âge » de cette stratégie. En effet, après la mise en place du concept pendant la guerre froide, le premier âge, une période d’une vingtaine d’années a suivi pendant laquelle de nombreux acteurs étatiques et internationaux ont travaillé à l’élimination de ces armes de l’arsenal mondial. L’initiative de Barack Obama lors du discours de Prague, en 2008, a constitué une sorte d’apogée de cette dynamique qui s’est ensuite progressivement délitée notamment sous les coups de plus en plus puissants des Russes, l’invasion de la Crimée étant en quelque sorte le début d’une nouvelle période, un « troisième âge » du nucléaire dans lequel la dialectique, le nombre des acteurs, la nature des armes et le système de contrôle des armements sont en train d’évoluer en profondeur. En particulier, l’irruption de la Chine dans le cénacle des grandes puissances nucléaires du fait de l’augmentation de son nombre de têtes, modifie l’approche du duumvirat entre Russes et Américains qui prévalait jusqu’à présent et dont les discussions START (Strategic Arms Reduction Treaty) étaient l’étendard.
Ce nouvel âge est confronté à d’autres défis, notamment celui de l’apparition d’un discours de coercition de la part des Russes, l’arrivée de nouveaux acteurs (Corée du Nord, Iran) mais aussi de la problématique de la guerre en zone grise où les actions sont souvent difficilement attribuables. La guerre en Ukraine en 2022 a remis ces sujets au premier plan au travers des propos du président russe Vladimir Poutine menaçant les soutiens de l’Ukraine de « conséquences effroyables ». L’éditeur a jugé pertinent de rééditer un livre qui traitait du sujet et qui était épuisé. L’Europe est en train de réapprendre la grammaire nucléaire.
Quel est l’état des lieux de notre dissuasion nucléaire 60 ans après la première prise d’alerte avec les Forces aériennes stratégiques (FAS) ?
Mise en place d’abord par la composante aéroportée sur bombardier stratégique Mirage IV puis sur Sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) classe Le Redoutable au milieu de la guerre froide, la dissuasion française a traversé avec vaillance les différents cycles géopolitiques sans perdre de sa crédibilité et de sa pertinence. Maintenue après la chute du mur de Berlin (1989) et continûment modernisée tant dans ses matériels que ses concepts, elle continue de donner à la France une voix singulière dans le concert des Nations et lui assure la défense ultime de ses intérêts vitaux dans un monde qui réarme et conteste aujourd’hui l’architecture de sécurité qui avait été mise en place au siècle dernier.
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