Introduction–Oceania, a Security Theatre in the Indo-Pacific?
Introduction – L’Océanie, un théâtre sécuritaire en Indo-Pacifique ?
L’Océanie s’affirme comme l’une des régions dans laquelle se joue la concurrence entre grandes puissances. Pris entre Indo-Pacifique et Routes de la Soie, les États et territoires d’Océanie tentent de naviguer entre les nouvelles attentions qu’ils suscitent et leur volonté de défendre leurs propres intérêts sécuritaires.
Les représentations de l’Océanie qui s’étire des îles Hawaii au Nord, à Rapa Nui (île de Pâques) à l’Est, à la Papouasie-Nouvelle-Guinée et l’Australie à l’Ouest et, à la Nouvelle-Zélande au Sud, ont souvent été tronquées. À l’échelle des relations internationales, ce continent-océan a longtemps été perçu par l’Australie et la Nouvelle-Zélande dans un cadrage sous-estimant les États et territoires du Pacifique insulaire. De même, l’immense espace océanique sur lequel sont dispersées les îles et sociétés océaniennes est longtemps resté en arrière-plan d’une vision occidentale privilégiant les espaces terrestres (1). Ce sont d’ailleurs les navigateurs et géographes européens du XIXe siècle, qui, face à l’étendue de cet espace insulaire, le nomme Océanie et le subdivise en trois sous-aires : la Mélanésie, la Polynésie et la Micronésie.
En dépit des présupposés raciaux et culturels à l’œuvre dans cette différenciation régionale, les Océaniens se sont approprié ce cadrage même si les revendications identitaires puis les recherches académiques l’ont dépouillé de la notion de cloisonnement pour mettre au premier plan le fonds culturel commun qui unit les Océaniens (2). En ce sens, l’appellation d’Océanie permet, dans une approche qui est désormais celles des Océaniens et du Forum des îles du Pacifique, principale enceinte politique de la région, de définir la région et ses populations par leur héritage commun et ce qui les relie : l’océan. Dépouillé de sa dimension coloniale, le terme d’Océanie permet d’appréhender la région comme une « une mer d’îles » (3) selon l’expression de l’intellectuel océanien Epeli Hau’ofa, et de reconnaître la volonté d’empowerment des sociétés et des États insulaires à l’heure où la région suscite de plus en plus l’intérêt des puissances. Parce qu’elle est plus inclusive, nous privilégions l’appellation d’Océanie sur celle de Pacifique Sud, longtemps employée mais qui est géographiquement restrictive et traduit une vision de la région par le prisme des intérêts et valeurs de ses partenaires occidentaux.
Dans le contexte géopolitique actuel, les États insulaires intéressent en effet, que ce soit par leur situation géographique, leurs ressources naturelles ou leur souveraineté. Les 12 États insulaires océaniens sont ainsi membres des Nations unies ; une voix sur la scène internationale qui n’est pas négligeable. Outre la République populaire de Chine qui s’est imposée depuis vingt ans comme un acteur indispensable de la région, d’autres États extérieurs à celle-ci et à son histoire s’y intéressent que ce soient l’Inde, Taïwan, la Russie, la Corée du Sud, l’Indonésie, les Émirats arabes unis… ou plus récemment l’Azerbaïdjan. Ces attentions nouvelles ne sont pas toutes de même nature et de même ampleur mais viennent complexifier une scène régionale historiquement dominée par les puissances qui y sont investies depuis le XIXe siècle. Ces États peuvent y être géographiquement situés (Australie, Nouvelle-Zélande) ; avoir exercé un contrôle colonial sur les îles (Australie, Nouvelle-Zélande, États-Unis, Royaume-Uni, France, Japon (4)) ; et, dans certains cas, en demeurer des puissances administrant des territoires (États-Unis, France, Royaume-Uni, Chili). Aiguillonnés par les nouveaux intérêts et influences qui se manifestent en Océanie, les puissances présentes de longue date en Océanie réévaluent les politiques qu’elles y engagent, afin d’éviter tout manquement que la RPC, ou d’autres, s’empresserait de combler.
Pris entre les narratifs concurrents de l’Indo-Pacifique et des Routes de la Soie, le FIP affirme une stratégie Blue Pacific (5) qui défend les priorités politiques et sécuritaires des États et territoires insulaires. Ce narratif accorde une place vitale à la sécurité humaine dans le contexte global du changement climatique et porte un régionalisme pensé par et pour les États et territoires insulaires. Dans ce contexte, la connaissance des terrains, des discours et des pratiques insulaires, est indispensable pour faire entendre la voix et l’agentivité des États et territoires océaniens dans une compétition globale qui résonne de plus en plus à l’échelle de la région. Elle l’est aussi pour les grandes puissances si elles souhaitent dégager les articulations possibles entre leur agenda sécuritaire et celui du Blue Pacific. ♦
(1) Artaud Hélène, Immersion. Rencontre des mondes atlantique et pacifique, La Découverte, 2023, 296 pages.
(2) Tcherkézoff Serge, Polynésie/Mélanésie – L’invention française des « races » et des régions de l’Océanie (XVIe–XXe siècles), Papeete, Au Vent des Îles, 2009, 376 pages.
(3) Hau’ofa Epeli, Notre mer d’île s, Papeete, Pacific Islanders Editions, 26 pages.
(4) Il faudrait ajouter l’Allemagne mais celle-ci ne mène pas de politique active à l’égard des États insulaires d’Océanie en dehors du cadre de l’Union européenne.
(5) Pacific Island Forum, The 2050 Strategy for the Blue Pacific Continent, Suva, Fiji, Pacific Island Forum, 2022 (https://forumsec.org/2050).