L’Asie du Sud-Est cherche à accroître ses relations et ses échanges avec l’arc mélanésien dans un contexte régional complexe où les grandes puissances – États-Unis, Chine, Japon, Australie – sont très actives avec des ambitions propres. Pour l’Indonésie, la mise en avant d’une dimension mélanésienne obéit à des objectifs de politique intérieure et de recherche d’un nouvel équilibre.
L’Asie du Sud-Est et les pays de l’arc mélanésien dans le contexte de l’Indo-Pacifique
South-East Asia and the Countries of Melanesia in the Indo-Pacific Context
South-East Asia is seeking to build its relations and trade with the Melanesian arc in a complex regional environment in which the larger powers—United States, China, Japan, and Australia—are particularly active, each having its own ambitions. Indonesia’s promotion of a Melanesian dimension reflects domestic political aims and the search for a new balance.
Les lointaines îles de l’arc mélanésien (Papouasie-Nouvelle-Guinée [PNG], Fidji, Vanuatu, Salomon et Nouvelle-Calédonie) ont longtemps été ignorées par les États de l’Asie du Sud-Est. Dans le contexte de l’Indo-Pacifique, l’ASEAN (Association of Southeast Asian Nations) entreprend une nouvelle recherche de ses racines mélanésiennes. Cinq États-membres sont partenaires de dialogue du Forum des îles du Pacifique (FIP) : l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, la Thaïlande et Singapour, certains depuis le début des années 2000. Cependant, le premier engagement formel entre l’ASEAN et le FIP date seulement de décembre 2022, rapprochement concrétisé par la signature d’un accord en septembre 2023 entre les deux organisations régionales à Djakarta (1).
Dans la région, l’Indonésie et le Timor oriental sont les pays les plus actifs dans le développement de ce dialogue (2). Géographiquement, les deux pays sont au carrefour entre les mers d’Asie du Sud-Est et l’espace mélanésien, et cela se retrouve dans les populations des territoires de leur façade océanienne qui appartiennent à la famille mélanésienne. Djakarta et Dili justifient leur volonté de rapprochement par la présence sur leur sol de ces minorités. L’ASEAN traverse un dilemme de sécurité : elle redoute une militarisation de l’Asie qui se ferait à son insu ; sans qu’elle en soit l’un des moteurs. L’association régionale veut reprendre l’initiative de son agenda sécuritaire et refuse un retour de la logique de blocs (3). Le projet de relier les voies maritimes entre l’océan Indien, les mers d’Asie du Sud-Est et les espaces marins océaniens est au cœur des stratégies Indo-Pacifique, mais l’ASEAN adopte une approche différente. Si l’Indonésie a des intérêts sécuritaires dans les pays de l’arc mélanésien, son discours privilégie les dossiers économiques, contrairement aux États-Unis et à l’Australie qui optent pour des actions de sécurité traditionnelle centrées sur la rivalité avec la Chine.
L’Indonésie et sa Pacific Elevation (2019)
L’Indonésie revendique son lien aux îles du Pacifique Sud en vertu de cinq (Papua/Papouasie occidentale (4), Moluques du Nord et les trois Petites îles de la Sonde orientale/Nusa Tenggara oriental) de ses 38 provinces, qu’elle qualifie de mélanésiennes sur les plans ethnique et linguistique. En 2015, sa ministre des Affaires étrangères (en fonction depuis 2014) Retno Marsudi expliquait que : « l’Indonésie abrite plus de 11 millions de Mélanésiens. Donc l’Indonésie est la Mélanésie et la Mélanésie est l’Indonésie » (5). Malgré le caractère fortement politique de cette affirmation, l’objectif majeur de Djakarta est de contrer le soutien dans la région à l’indépendance de la Papouasie. Djakarta se positionne comme un acteur stratégique de l’arc mélanésien. En 2011, l’Indonésie obtenait le statut d’observateur au MSG (Melanesian Spearhead Group), avant de devenir, en 2015, membre associé. Entre 2014 et 2020, elle a versé près de 17 millions de dollars aux pays insulaires du Pacifique, la PNG et les Fidji étant les principaux bénéficiaires. En 2019, lors d’un déplacement de Retno Marsudi en Nouvelle-Zélande, l’Indonésie a lancé sa stratégie Pacific Elevation. Il faut toutefois attendre 2022 pour que Djakarta organise son premier Island Summit (en invitant au passage la Chine). Les forces armées indonésiennes, la TNI (Tentara Nasional Indonesia), ont longtemps concentré leur mission sur le territoire national. Lancée en 2014, la stratégie du Global Maritime Fulcrum (GMF), malgré son côté déclaratif (6), n’avait initialement pas été pensée comme une réponse stratégique à la rivalité sino-américaine hors de ses frontières ; l’enjeu était surtout de sécuriser l’archipel face aux enjeux et menaces qui pesaient sur ses propres mers (7).
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