Alors que le rapport de force et la guerre sont redevenus d’actualité, il est indispensable d’en comprendre les ressorts, d’autant plus que l’histoire fournit de trop nombreux exemples de conflits où les cultures des protagonistes s’opposent. Plus que les thèses de Samuel Huntington, il convient de relire Hérodote et, surtout, Thucydide, dont la compréhension des mécanismes de la guerre reste pertinente.
Guerres de civilisation ou guerres de domination
Wars of Civilisation or Wars of Domination
At a time when balance of power and war are back with us, it is essential to understand what motivates them, given that history offers too many examples of conflicts which amount to clashes between cultures. So, in addition to Samuel Huntington’s theses we should be reading Herodotus and, in particular, Thucydides, whose understanding of the mechanisms of warfare remains as pertinent as ever.
Après l’effondrement du mur de Berlin en novembre 1989, un géopolitologue américain, Samuel Huntington (1927-2008), publia un livre retentissant, Le Choc des civilisations. Dans ce livre, il défendait la théorie par laquelle les futurs conflits armés n’opposeront plus les nations, comme le montrent les conflits européens au XIXe et XXe siècles, ni les idéologies, comme l’a montré l’affrontement entre les États-Unis et l’URSS pendant la guerre froide entre 1917 et 1989, mais les civilisations entre elles, qu’il énumère à 8 : sino-confucéenne, japonaise (différente de la chinoise, même si confucéenne elle aussi), hindoue, orthodoxe, occidentale, latino-américaine, islamique, africaine. Il rappelle également que pour la majorité de l’humanité, modernisation ne signifie pas occidentalisation. En réalité, il s’agit d’un débat déjà très ancien et deux historiens grecs de l’Antiquité personnalisent ce débat : Hérodote et Thucydide.
Hérodote, historien des guerres de civilisations
La tradition donne le nom de Père de l’Histoire à Hérodote d’Halicarnasse (480-425 av. J.-C.) qui utilisa le terme grec Ἱστορία / Historia, c’est-à-dire enquête, pour définir ses travaux. Il les commença sur les guerres médiques (490-479 av. J.-C.). Le but de ces enquêtes est, comme il l’écrit lui-même en introduction, « que le temps n’abolisse pas le souvenir des actions des hommes et que les grands exploits accomplis soit par les Grecs, soit par les Barbares, ne tombent pas dans l’oubli ». Ce but peut être considéré comme la définition basique de l’histoire. Certes, elle est d’Hérodote, mais Thucydide pourrait la reprendre pour lui.
Hérodote procède à une étude anthropologique et civilisationnelle comparée entre les cultures grecque et persane, et emmène le lecteur assez loin, que cela soit sur le plan tant géographique qu’historique : ainsi, il décrit avec précision les mœurs des Perses, leurs religions, leurs rites sacrificiels, les origines de la dynastie en place et l’organisation de l’empire, etc. Son récit fourmille d’anecdotes qui font appel à la mythologie. Il décrit aussi les différentes cités grecques, leurs traditions démocratiques, où tout le monde est égal devant la loi, la vie des marchés « où chacun se parjure pour mieux trahir son voisin » selon l’empereur perse Cyrus ; il dépeint enfin le régime spartiate, certes autoritaire mais où règne la suprématie de la loi sur le roi, qui peut être destitué s’il ne la respecte pas : l’historien Simonide de Céos, cité par Hérodote, rappelle que Léonidas, roi de Sparte et ses compagnons sont morts aux Thermopyles, en 480 av. J.-C. « pour obéir à ses lois » ! Bref, il explique les racines des guerres médiques par les très grandes différences culturelles entre les civilisations grecque et persane qui ne pouvaient pas se comprendre ; cette incompréhension devait tendre leurs relations et donc conduire au conflit.
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