Les patrouilles de la Marine nationale en mer Rouge sont riches d’enseignement sur le plan tactique avec plusieurs leçons venant d’ailleurs conforter les choix faits par le commandement. L’incertitude face à une menace polymorphe oblige à anticiper et recueillir du renseignement. L’efficacité opérationnelle d’un bâtiment repose d’abord sur son équipage puis sur ses systèmes. La décision d’engagement relèvera toujours d’un choix humain.
Quelques leçons tactiques des premières patrouilles navales en mer Rouge
Some Tactical Lessons Learned from the First Naval Patrols in the Red Sea
The French Navy’s patrols in the Red Sea have taught much about tactics and offered a number of lessons which, incidentally, have supported decisions made by the command. Uncertainty when facing a many-faceted threat underlines the need for anticipation and intelligence collection. The operational effectiveness of a warship relies primarily on its crew, thereafter on its fitted systems. Any decision to engage will always be a human one.
En 2022, la destruction du croiseur russe Moskva en mer Noire avait donné raison à l’amiral Pierre Vandier, alors Chef d’état-major de la Marine, qui annonçait « le retour du combat naval comme hypothèse de travail » (1). À partir de décembre 2023, les frégates françaises ont été confrontées à ce retour de la violence en mer. Dans le contexte des attaques du Hamas du 7 octobre 2023 et de la riposte israélienne, le sud de la mer Rouge est le théâtre depuis novembre de la même année d’engagements complexes par les rebelles houthis en direction de navires de commerce puis de bâtiments militaires. Rappelant par certains aspects le théâtre ukrainien, les engagements en mer Rouge permettent de tirer, sur le plan tactique, un nombre significatif d’enseignements.
Ces quelques leçons des actions de combat en mer Rouge ne sont évidemment ni exhaustives, ni inédites. Elles sont tirées des événements et engagements réalisés lors des premières patrouilles, vécues au sein de l’état-major d’une frégate française en entrée de théâtre, avant la consolidation des coalitions. Elles viennent, sans autre ambition, conforter de vieilles leçons historiques ou des intuitions théoriques plus récentes.
Première leçon : la guerre navale est (encore) le domaine de l’incertitude ; pour agir militairement, il faut à la fois consentir au risque lié à cette incertitude, renoncer à tout connaître de la nature de la menace et apprendre rapidement du terrain.
Le 26 novembre 2023, les Houthis tirent les premiers missiles balistiques en direction de navires civils. Cette reconversion dans le domaine naval de systèmes terrestres largement utilisés pendant la guerre civile yéménite constitue une surprise, d’autant qu’ils ne sont pas optimisés pour ce domaine. D’une manière générale, les Houthis se révèlent des adversaires agiles, inventifs et innovants, rappelant la créativité de l’armée ukrainienne face à l’offensive russe (2) : désignation d’objectifs par AIS (Système d’identification automatique), par embarcations, par drones, par radar ; moyens cinétiques par drones, probablement duaux, aux caractéristiques variées, missiles antinavires de croisière, Water Borne Improvised Explosive Devices (WBIED), le tout mis en œuvre de façon combinée, avec une grande mobilité pour éviter la contre-désignation. L’inventivité déployée dans cette confrontation du faible au fort dérange une logique de planification tactique fondée sur la réflexion systématique sur des ordres de bataille, relativement peu évolutifs du fait de la durée habituelle d’un programme d’armement naval. L’enjeu est de ne pas préparer la guerre d’hier mais celle d’aujourd’hui.
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