La sidération provoquée par la nouvelle Administration Trump n’est pas issue d’un accident de l’histoire mais puise ses sources dans une conception très ancienne spécifique aux États-Unis. Il y a toujours eu une forme de rejet de tout ce qui n’était pas américain, poussant à un unilatéralisme forcené et à un égoïsme sacralisé, aujourd’hui au pouvoir à Washington.
Mésalliance atlantique, de la quasi-paix à la quasi-guerre
The Atlantic Mésalliance—from Quasi-Peace to Quasi-War
With reference to the Franco-American Quasi-War of 1798-1800, the author advances that the shock wave provoked by the new Trump administration is no accident of history: it draws upon a long-established concept that is peculiar to the United States. There has always been a sort of rejection of all that is not American, which has led to the unrelenting unilateralism and the sacralised egotism now in power in Washington.
L’Europe aura découvert l’Amérique deux fois : le 12 octobre 1492 avec Colomb, et le 14 février 2025 à Munich. J’ai suffisamment documenté la crise américaine (1), y compris dans la RDN (2), pour ne pas être surpris de la confirmation que l’Otan n’est qu’une supercherie et que les États-Unis ne s’engageront pas dans la défense du Vieux Continent. Charles de Gaulle l’avait déjà argumenté il y a soixante ans (3), et Polonais, Allemands ou Finlandais en sont quittes pour mettre sur « Leboncoin » leurs F-35 à double clef. C’est la panique des responsables européens au discours du vice-président américain J.D. Vance réaffirmant que les États-Unis rejettent nos valeurs, qui est bien plus inquiétante pour l’avenir du continent, alors que l’offensive américaine sur le droit et les normes a commencé il y a un quart de siècle (4), et que le système de représentation d’un espace bien mal nommé « atlantique » s’effondre, aucun retour en arrière n’étant envisageable (5).
Que n’a-t-on voulu entendre plus tôt ce qui nous est toujours parvenu d’Amérique, cette revendication d’un antagonisme ontologique contre les Lumières européennes et françaises que révèle la lecture synoptique des textes fondateurs. Là où les Américains proclament que les individus sont créés égaux, nous affirmons que les différences naturelles imposent l’égalité en droits : là où ils accordent un privilège à la liberté religieuse jusque dans l’espace public, nous excluons le culte des garanties constitutionnelles et intégrons la foi dans la liberté d’opinion ; et sur cette dernière question qui a servi de pivot à la diatribe de Munich dont s’est emparée cette partie de notre classe politique qui s’était déjà précipitée à l’investiture de Donald Trump comme d’autres à Coblence ou Sigmaringen, si notre Déclaration de 1789 assure la mise en débat des opinions dans une disputatio contradictoire faute de quoi il n’y a pas d’opinion, le Premier amendement américain de 1791 revendique une liberté absolue et exclusive d’exprimer n’importe quoi contre n’importe qui et sur n’importe quel sujet, fondement et origine du wokisme. La guerre atlantique n’est donc pas seulement commerciale et stratégique.
Un conflit identitaire qui n’en finit pas
Les historiens américains – mais aussi canadiens et britanniques – la font commencer à l’affaire Jumonville, assassinat le 26 mai 1754 d’un plénipotentiaire français par un jeune colonel des milices de Virginie nommé George Washington, début de cette guerre franco-indienne (de Sept ans pour nous en Europe) qui voit la perte de la Nouvelle-France. « If things had gone differently, we’d all be speaking french », annonce le trailer d’un documentaire sur cette guerre d’indépendance avant l’heure : « The War that made America is not the one you think » (6). Mise en pause, comme écrivait l’amiral Mahan, par le Traité d’alliance de 1778, elle va reprendre dès le début de la Révolution française pour déboucher, en 1798, sur ce qu’on nomme outre-Atlantique la « Quasi-Guerre ». Elle est enseignée et documentée là-bas par une abondante bibliographie (7), mais il faut saluer la parution l’année dernière d’un premier essai français sur la question (8). Si l’auteur y fait œuvre d’historien et non de polémiste, comment ne pas tirer quelques diagonales avec nos interrogations contemporaines ?
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