Lace and the Cold War 1970-2023, Shadow War in the East—reviewed by Jérôme Pellistrandi
La guerre froide en dentelles 1970-2023, Guerre des ombres à l’est
René Cagnat a vécu plusieurs vies : officier, diplomate, ethnologue, aventurier et surtout passionné de l’Asie centrale, qui a profondément marqué son parcours. Fidèle contributeur de la RDN, il a ainsi défriché ces terres très mal connues, autrefois intégrées à l’URSS et se cherchant aujourd’hui un destin coincé entre une Russie revancharde, une Chine autoritaire et un sud où l’Iran, l’Afghanistan et d’autres États comme la Turquie sont en compétition.
Avec ce livre à la fois très, voire trop personnel, il retrace cependant son parcours sur plus d’un demi-siècle, commençant du temps de la guerre froide et, hélas, se poursuivant désormais avec une guerre de haute intensité en Europe voulue par la brutalité de Vladimir Poutine.
Certes, il y a des pages qui tiennent davantage du Guide du Routard, notamment sur les nombreuses rencontres féminines tout au long de ces années – d’où les « dentelles » du titre. Cependant, l’important est surtout dans l’évocation de la guerre froide, quotidien de René Cagnat, agent du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE, devenue DGSE en 1982) en poste en URSS, puis en Roumanie et en Bulgarie après la chute du Mur (1989). Les chapitres sur Moscou et Berlin sont d’ailleurs tout à fait passionnants, d’autant plus que rares sont les écrits portant sur cette période vue de l’intérieur. On peut en effet regretter qu’il n’y ait pas de travaux portant, entre autres, sur les Forces françaises en Allemagne (FFA) et à Berlin, à l’heure où les témoins quittent la scène. En 1980, 65 000 soldats français étaient stationnés outre-Rhin et il serait dommage de ne pas consacrer des études à cette dimension particulière de la relation franco-allemande, aujourd’hui largement oubliée.
L’auteur décrit ainsi les relations complexes avec le KGB notamment à Moscou, mais aussi entre les différents services alliés où confiance et méfiance alternent. Car, au-delà des enjeux politiques, il y a la question des relations interpersonnelles qui parcourent le reste du livre. Le bon caractère et l’empathie naturelle de René Cagnat lui ont, au demeurant, beaucoup apporté tout au long de ces décennies au service de la France. Les 37 années sous l’uniforme recouvrent ainsi cette période de bascule entre le monde issu de la Seconde Guerre mondiale et divisé en deux blocs antagonistes – du moins en Europe – et celui du début de ce XXIe siècle.
Les terres d’Asie centrale ont offert au colonel jeune retraité un nouveau terrain de découverte avec de véritables chocs de culture entre les populations urbaines et les peuples nomades dont le logement est la yourte, entre héritage post-soviétique et aspiration à un nouveau modèle de développement. Remarquons ici que la nature des régimes – essentiellement autoritaires – ne semble pas être une question centrale pour les opinions publiques de ces vastes steppes entourées de montagnes.
Ces espaces immenses en pleine transition semblent cependant si lointains de nos préoccupations. Certes, la France y a bonne réputation mais cet éloignement géographique et culturel reste cependant un frein pour accroître nos échanges, y compris sur le plan économique.
Cet ouvrage, agréable à lire, est à la fois un témoignage pour comprendre ce qui se passait derrière le Mur mais aussi pour partager avec l’auteur la nostalgie d’une époque désormais révolue depuis le 24 février 2022. ♦