D'une défense à l'autre
Tel un homme qui verrait son ombre se détacher de lui et s’en éloigner sans qu’il parvienne à la rattraper, notre société semble assister au galop de l’évolution sans réussir à en maîtriser les conséquences. Jadis nos façons de vivre étaient en harmonie avec nos possibilités matérielles, car les sciences de la matière évoluaient lentement et que le temps permettait une sage adaptation. Puis, voici moins d’un siècle, les progrès scientifiques et techniques s’emballèrent, bouleversant nos conditions de travail, de loisir, de vie familiale, d’éducation, de défense contre les agressions de la nature et des hommes. Surtout, nos possibilités de communication changèrent de nature, contractant l’espace de notre planète, réduisant le temps de nos déplacements et de nos rythmes de vie, décloisonnant notre monde, augmentant l’ampleur et l’écho des mouvements d’idées, conférant ainsi aux opinions publiques une puissance à laquelle les dirigeants du monde durent se soumettre.
Tout alla si vite que l’inertie de nos capacités d’adaptation ne nous permit plus de suivre la marche des choses. À notre insu, notre ombre s’éloignait, rendant notre existence irréelle, incontrôlée.
Le domaine de la défense n’échappe pas à cette mutation. Alors, par exemple, que nous nous étions dotés de moyens de destruction si puissants qu’ils interdisaient la poursuite de la politique par l’emploi de la force des armes, mettant ainsi un frein puissant à nos instincts guerriers, les plus grandes nations du monde, figées dans l’inertie des errements du passé, continuèrent à les compter parmi les moyens utilisables en les intégrant dans de savants calculs de rapports de force. Elles entassèrent ainsi des arsenaux nucléaires monstrueux, d’une redondance suicidaire plusieurs fois inutile. À peine aujourd’hui prenons-nous conscience de cette erreur. Mais au même moment, nous continuons de concevoir l’avenir de notre politique de défense dans le prolongement de celle du passé en persistant à ignorer des données déterminantes de son évolution. Pourtant, en quelques domaines essentiels, scientifique et technique, idéologique et culturel, démographique, et enfin géostratégique, nous subissons des contraintes qu’il serait inconséquent d’ignorer.
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