Discours de M. Jacques Chirac, président de la République, le lundi 28 août 2000, au Palais de l'Élysée, à l'occasion de la réception des ambassadeurs.
Politique étrangère - Discours aux ambassadeurs
Tous les ans, à la même époque, nous nous retrouvons à l’ouverture de la conférence des ambassadeurs, un rendez-vous auquel j’attache une grande importance.
D’abord parce qu’il me permet d’avoir un contact direct avec un certain nombre d’entre vous. Je ne peux malheureusement pas tous vous recevoir. Mais je souhaite poursuivre la tradition instaurée par le général de Gaulle en rencontrant, dans toute la mesure du possible, les nouveaux ambassadeurs. Et, lorsque l’actualité l’exige, je tiens à m’entretenir avec ceux qui sont dans des postes particulièrement difficiles, afin d’entendre leurs analyses et de leur donner mes instructions.
Cette réunion est aussi pour moi l’occasion de vous présenter les principales orientations de la politique étrangère de la France. Une politique vivante qui s’inscrit dans un monde qui change vite, ce qui exige anticipation, action et réaction.
À l’aube de ce siècle, nous sommes entrés dans une phase de croissance forte, sans doute durable. L’accélération du progrès scientifique et technique, la révolution de la société de l’information nous incitent à regarder l’avenir avec espoir.
Mais la nouvelle économie, la mondialisation sans doute prometteuse si l’on sait la réguler, l’humaniser, ne doivent pas masquer certaines réalités : les atteintes de plus en plus graves portées à notre environnement ; la marginalisation qui touche ou menace de nombreux pays ; la maladie qui frappe un nombre croissant d’habitants des pays les plus pauvres ; des guerres et des conflits d’un autre âge qui continuent à dévaster des régions entières.
Dans ce monde de contrastes, la France est privilégiée. Elle aborde le nouveau millénaire forte de nombreux atouts : les talents de son peuple, tout ce que lui apportent son histoire et sa culture, sa place centrale dans l’Union européenne, son poids et son dynamisme économiques, comme son rayonnement international. Son influence est grande.
Quelles sont aujourd’hui ses ambitions pour elle-même et pour l’Europe ? Comment répondre aux préoccupations des Français dans un monde où les frontières s’effacent ? Comment contribuer à ce que ce monde soit plus juste et moins dangereux ? Voici les questions que j’aborderai avec vous aujourd’hui. L’intérêt de la France commande une diplomatie au service de la construction de l’Europe, une diplomatie au service de nos concitoyens, une diplomatie au service de la paix.
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Depuis deux mois, la France exerce la présidence de l’Union européenne. Vous êtes tous mobilisés pour le succès de cette entreprise. C’est l’occasion d’affirmer, partout dans le monde, la présence de l’Europe. Sur le terrain, vous avez, pendant ces quelques mois, la possibilité de donner une impulsion à l’action des Quinze. Je vous demande d’exercer cette responsabilité avec ambition et le souci constant du travail en équipe avec nos partenaires.
C’est dans cet esprit que la France aborde les grands dossiers de sa présidence. Celle-ci intervient à un moment où l’Union doit prendre des décisions cruciales concernant ses institutions. La responsabilité de ses membres, la nôtre, est à la mesure de l’enjeu.
Vous en connaissez les données. Avec l’élargissement, qui répond à un besoin profond d’unité et de paix, l’Union va changer de dimension. En affirmant sa vocation à rassembler la famille européenne, elle va aussi changer de nature.
Cette évolution exige des réformes et suscite tout naturellement un débat sur l’avenir. La France doit y prendre sa part. Il importe que vous fassiez clairement connaître ses ambitions, ce qu’elle veut pour l’Europe.
La France veut d’abord une Union dotée d’institutions plus efficaces, plus démocratiques. Des institutions reflétant davantage le poids réel des États membres. Des institutions facilitant la prise de décision dans une communauté qui sera composée de pays plus nombreux, plus divers par leur niveau de vie, leur culture, leur histoire. Des institutions permettant à ceux qui le souhaitent d’aller plus vite et plus loin, dans le respect de la cohérence et de la solidarité de l’Union.
Je l’ai dit, avant même que la France ne prenne la présidence : une Conférence intergouvernementale qui se contenterait de retouches sur la pondération des voix et le vote à la majorité, de quelques assouplissements des mécanismes de coopération renforcée, et qui ne favoriserait pas l’efficacité du travail de la Commission – bref une CIG au rabais – ne répondrait pas à ces exigences.
Aller de l’avant, éviter la paralysie, répond à une nécessité. Nous le voyons avec l’euro qui nous a apporté plus de croissance, plus de stabilité, mais qui exige une meilleure coordination de nos politiques économiques. Nous le voyons avec la crise du Kosovo qui a bien montré le besoin d’une véritable politique de sécurité et de défense européenne. Nous le voyons plus encore dans tous les domaines, de la protection de l’environnement à la sécurité, en passant par l’emploi, la formation et la protection sociale, domaines qui touchent directement la vie quotidienne des Européens qui veulent, là aussi, plus de cohérence pour plus d’efficacité.
C’est parce qu’il faut préserver les capacités d’impulsion et de progrès au sein de l’Union que l’un des enjeux de la présidence française sera de faciliter le recours aux « coopérations renforcées ». Et, après la conclusion de la CIG, il faudra aller au-delà. C’est pourquoi, lors de ma visite d’État en Allemagne, j’ai appelé à la création d’un groupe de pays pionniers qui formerait le peloton de tête de ceux qui veulent faire avancer l’Europe, en quelque sorte le moteur de l’Union. Ainsi, sur une base volontaire, ces pays s’organiseraient pour mieux agir ensemble, en préservant naturellement l’acquis de l’Union et en donnant la possibilité aux autres membres de les rejoindre à tout moment.
Notre vision de l’Europe conduit à une Union dans laquelle les nations membres lient leur destin sans renoncer à leur identité. Il faut concilier la recherche d’une intégration poussée répondant à l’évolution du monde, et la volonté de maintenir au niveau des États les compétences qui n’ont pas à être mises en commun. Il en résulte une réalité originale : les États membres, comme l’Union, sont des acteurs de la vie internationale. Ils le resteront. Nos concitoyens, dans leur grande majorité, portent une appréciation positive sur l’Europe. Mais leurs questions sont de plus en plus pressantes : qui fait quoi en Europe ? Quelles sont les valeurs de l’Union ? Quelles sont ses frontières ? Quels ajustements nouveaux faut-il apporter aux institutions ? Le devoir des responsables politiques est de proposer des réponses à ces questions afin d’éclairer le chemin ; de regarder au-delà des échéances immédiates pour mieux progresser aujourd’hui. C’est pourquoi j’ai souhaité que s’engage, après la présidence française, une réflexion sur un texte fondamental qui serait la première Constitution européenne.
C’est la même vision de l’avenir qui conduit la France à vouloir une Europe forte, puissante, ayant vocation à être l’un des grands pôles de la société internationale.
La France, avec ses partenaires, doit favoriser cette évolution. Elle appelle aujourd’hui à la définition de politiques ambitieuses pour la promotion des idées et la défense des intérêts européens. La voix de la diplomatie européenne, comme c’est encore trop souvent le cas, ne doit pas refléter le plus petit dénominateur commun. C’est affaire de volonté. C’est ainsi que les Européens prendront progressivement en main leur destin.
Mais une Europe forte, c’est aussi une Europe dotée des instruments de son ambition. Le développement des capacités militaires européennes doit y répondre. Il s’agit, à ce stade, de donner à l’Union la crédibilité qui lui fait encore défaut pour conduire efficacement la gestion d’une crise avec ses propres moyens, soit seule, soit avec le concours de l’Otan. C’est une étape fondamentale. La conférence d’engagement prévue en novembre doit permettre à chaque pays membre d’annoncer les moyens qu’il mettra à la disposition de l’Union pour qu’elle puisse, dans trois ans, déployer 60 000 hommes dans un théâtre extérieur.
Nous devons veiller également, pendant notre présidence, à ce que les institutions créées par le Conseil européen d’Helsinki, et notamment le Comité politique et de sécurité, montent en puissance.
De même, l’Europe doit, sans complexe, affirmer son identité et ses valeurs. C’est pourquoi nous souhaitons que la Charte des droits fondamentaux de l’Union, en cours d’élaboration, ait une portée à la mesure de notre attente. Elle doit traiter les droits civils et politiques, les droits économiques et sociaux et les droits nouveaux qui concernent notamment l’environnement et la bioéthique.
Le temps est également venu de mieux définir le modèle social qui répond aux aspirations des citoyens européens. L’adoption de l’Agenda social à Nice y contribuera. Il nous faut construire une Europe plus proche des citoyens. Une Europe qui réponde à leurs premières préoccupations : la croissance, l’emploi et la formation, la justice et la sécurité, l’environnement et la santé, la lutte contre le trafic de drogue et la grande criminalité. Dans tous ces domaines, sous présidence française, nous avançons.
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Mesdames et Messieurs les ambassadeurs, notre politique étrangère doit être au service des citoyens. Cette vocation doit s’affirmer davantage pour tenir compte de l’évolution du monde. C’est un impératif de la diplomatie moderne.
Désormais, tout relève, d’une façon ou d’une autre, de l’international. C’est évidemment vrai de la vie des entreprises. Mais l’ouverture au monde dépasse ce cadre. Aujourd’hui, utiliser une voiture, chauffer sa maison, c’est entrer dans le champ d’application des conventions mondiales sur la lutte contre les pollutions. S’alimenter, c’est consommer des biens dont les normes doivent être de mieux en mieux définies au niveau mondial. Regarder la télévision, écouter la radio, utiliser l’Internet, c’est emprunter des réseaux de communication dont la trame se déploie et s’organise à l’échelle planétaire.
Ainsi, de plus en plus, toutes nos actions vont être régies par des normes internationales. Dans quelques jours, à New York, j’exposerai les conséquences qui en découlent, selon moi, pour les Nations unies. La France doit jouer tout son rôle dans la négociation de ces traités au service des citoyens. J’évoquerai cinq objectifs :
Le premier, c’est la responsabilité collective. Chacun doit équitablement prendre sa part des efforts nécessaires et ne pas renvoyer à demain les décisions qui doivent absolument être prises dès maintenant. Ainsi à La Haye, en novembre prochain, il est impératif que nous nous entendions sur des mesures concrètes de lutte contre le changement climatique. Parce que celui-ci est menaçant, il faut réduire effectivement les émissions de gaz à effet de serre. Je sais qu’il y a de fortes résistances, car cela suppose une transformation durable de nos modes de production et de consommation, mais la France continuera à faire preuve de détermination et d’imagination pour obtenir un accord au service des générations futures.
Notre deuxième objectif est de combattre la prolifération de zones de non-droit. Le crime de haute technologie, comme le crime financier, se jouent des frontières. Les entités qui peuvent les abriter doivent se plier aux disciplines communes. Tel est le sens de l’offensive conduite contre certaines places financières, complaisantes à l’égard du blanchiment de l’argent sale. Cela s’est fait, à l’initiative de la France, depuis le sommet de Lyon en 1996. Cette année, au Sommet d’Okinawa, nous avons franchi une étape importante en mettant sous surveillance les quinze places identifiées par le Groupe d’action financière sur le blanchiment des capitaux (Gafi) et en prévoyant des mesures restrictives si elles persistent dans leurs pratiques.
Nous devons en outre, et c’est notre troisième objectif, garantir à nos compatriotes des règles suffisamment protectrices. L’ouverture aux échanges favorise la croissance et l’emploi, renforce la compétitivité, augmente le choix des consommateurs. C’est un grand progrès. Cependant, cette ouverture ne doit pas déroger aux exigences que nous imposons à nos propres producteurs. C’est pourquoi le nouveau cycle commercial multilatéral devra être global. C’est pourquoi la France se bat également pour l’application du principe de précaution aux OGM et à la sécurité des aliments. Sur un sujet aussi important, une évaluation commune doit se dégager au niveau international. Il faut y parvenir par le dialogue et organiser celui-ci en veillant à y associer la société civile.
Notre quatrième objectif doit être de répondre à l’exigence éthique. Le citoyen attend désormais de l’État qu’il intègre pleinement dans son action extérieure les valeurs sur lesquelles repose notre société. C’est le sens de l’action que nous menons, avec l’Europe, pour les droits de l’homme et l’état de droit. J’irai, l’année prochaine à Genève, à la Commission des droits de l’homme, afin d’y faire entendre à nouveau notre voix. Et, à l’heure où les progrès de la science laissent entrevoir des applications dont certaines pourraient heurter notre conception de la dignité humaine, c’est à l’échelle planétaire que nous devons réfléchir à cette dimension nouvelle de l’éthique qu’est la bioéthique.
Enfin, et c’est notre cinquième objectif, l’adhésion de tous doit être recherchée. Les négociations normatives, pour complexes qu’elles soient, ne doivent pas rester l’apanage des experts. Pour que les enjeux soient bien compris, un effort important de transparence, d’explication et de dialogue est nécessaire. C’est la loi de la démocratie. L’échec du projet d’Accord multilatéral sur l’investissement à l’OCDE, celui du lancement du nouveau cycle commercial à Seattle, témoignent d’un mouvement général dont il faut pleinement tenir compte.
Cela suppose, sur le plan national, que nos positions soient élaborées après avoir entendu les élus et les représentants des organisations syndicales, professionnelles et associatives. Cela suppose, sur le plan international, que tous les États, même les plus démunis, soient véritablement parties prenantes aux négociations et puissent faire entendre leur voix. Il faut, si nécessaire, les y aider. Cela suppose enfin une meilleure participation de la société civile. Nous devons développer des forums internationaux de discussion qui permettent de consulter les intérêts en présence. Dans cet esprit, la France serait prête à accueillir un rassemblement mondial de la société civile qui, dix ans après Rio, contribuerait utilement à la préparation de la conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement durable.
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L’État doit, pour sa part, se donner les moyens de répondre à ces nouvelles dimensions de notre diplomatie : renforcer notre présence dans les organisations internationales et notre capacité de négociation ; développer des instruments nouveaux avec par exemple, lorsque certains problèmes l’exigent, la désignation d’ambassadeurs itinérants ; poursuivre, comme Hubert Védrine s’y emploie activement, la réforme du ministère des Affaires étrangères, pour qu’il soit mieux en mesure de jouer son rôle de coordination ; s’assurer que toutes les administrations intègrent pleinement le fait international. Ce n’est plus seulement l’entreprise qui est aujourd’hui appréciée selon ses performances à l’extérieur : c’est aussi l’État qui est jugé selon son aptitude à défendre nos intérêts, nos idées, nos valeurs.
Cette diplomatie au service des citoyens, vous la conduisez aussi dans vos postes. C’est naturellement le cas lorsque vous aidez nos compatriotes à l’étranger et les activités qu’ils y développent. Soyez à leur écoute. Apportez-leur le soutien qu’ils sont en droit d’attendre. Accordez à cette dimension fondamentale de votre métier la priorité qui lui revient. Elle concourt au rayonnement de la France et à la confiance des Français.
Mais c’est aussi le cas dans les situations dramatiques. Je pense aux catastrophes naturelles, aux conflits. Et vous comprendrez que je pense tout particulièrement aujourd’hui à nos compatriotes retenus en otages à Jolo mais aussi en Colombie. Depuis l’an dernier, nous avons été à plusieurs reprises éprouvés par ces actes intolérables qui relèvent du terrorisme. À chaque fois notre appareil diplomatique, à Paris et dans les postes concernés, se mobilise avec efficacité et dévouement. La tragédie que subissent les otages, tous les Français la partagent. Ils sont aux côtés des familles qui vivent dans l’angoisse. À toutes les familles, je le dis à nouveau : avec le gouvernement, nous sommes totalement engagés dans la recherche de solutions pour libérer leurs proches. Nous avons bien sûr accueilli avec une grande joie la libération de trois des otages français de Jolo, mais sachez que nous poursuivons avec détermination notre action pour obtenir, dans les meilleurs délais, le retour de tous ceux qui sont encore retenus.
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Mesdames et Messieurs les ambassadeurs, l’une de vos principales missions est de participer à l’action diplomatique de la France en faveur de la paix.
La paix est notre première préoccupation. Sur notre continent, l’Union européenne l’a enracinée en transformant en profondeur les relations entre les États membres. Nous devons néanmoins rester vigilants et préserver les conditions de cette sécurité. Les pays membres doivent le faire, au sein de l’Union ou au sein de l’Alliance atlantique, qui demeure essentielle à leur défense collective. Ils doivent aussi le faire individuellement en assumant mieux leurs responsabilités dans le domaine de la défense. La France, forte de sa capacité de dissuasion dont je suis le garant, y apporte toute sa contribution.
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Si la paix constitue le premier acquis de la construction européenne, à nos portes, dans les Balkans, la situation reste précaire. Les vieux démons qui avaient gangrené l’Europe sont toujours présents en Serbie. La communauté internationale – et la France y a pris toute sa part, en Bosnie-Herzégovine comme au Kosovo – a réussi à mettre un terme à l’épuration ethnique. Mais il n’y aura pas de stabilité dans l’espace de l’ancienne Yougoslavie tant que subsistera à Belgrade un régime de la nature de celui de Milosevic, tant que la démocratie n’aura pas, partout, pris le dessus.
L’Union européenne doit y contribuer, en soutenant par les instruments dont elle dispose et par sa force d’attraction, les évolutions positives apparues dans certains pays ; en Croatie bien sûr, mais également en Macédoine et en Bosnie-Herzégovine où les récentes élections marquent une inflexion qu’il faut encourager. Tel est l’objectif du sommet qui se tiendra en Croatie sous présidence française. Cette rencontre aura également pour objet d’encourager les tendances favorables au Monténégro, où des efforts démocratiques louables sont faits, et au Kosovo, où la paix est, certes, revenue mais où l’enracinement des valeurs de tolérance et de respect des droits de l’Homme demeure notre principal objectif.
Cette initiative, que j’ai prise après avoir consulté le président Mesic, a reçu le soutien du Conseil européen à Feira. La Serbie doit comprendre que la voie du rapprochement avec l’Europe lui sera ouverte dès qu’elle évoluera vers la démocratie. Sa vocation est européenne. Pour y être fidèle et rejoindre sa famille, elle doit en respecter les valeurs.
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La stabilité sur notre continent passe aussi, et c’est fondamental, par une relation de confiance avec la Russie. L’Union européenne souhaite avoir à l’Est un partenaire stable, occupant la place éminente qui lui revient sur les scènes continentale et mondiale. Une Russie démocratique, pacifique et moderne est nécessaire à l’équilibre du monde. La France a une longue tradition de relations privilégiées avec ce grand pays. Elle est à ses côtés sur le chemin des réformes.
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Notre sécurité, comme celle de l’Europe, sera également renforcée si, tout autour de la Méditerranée, règnent la stabilité, la paix et le développement.
Au Moyen-Orient, les principes d’un règlement sont connus : celui de la terre contre la paix, celui de la sécurité de tous les États et celui de l’autodétermination du peuple palestinien. Mais la mise en œuvre reste toujours aussi difficile. La rencontre de Camp David n’a pu se conclure par un accord, mais elle a montré que le président Yasser Arafat, comme le Premier ministre Ehud Barak, étaient déterminés à faire la paix des braves. L’espoir est donc toujours là. Parce qu’on est près du but, il faut éviter le risque d’un retour en arrière. Parce qu’on est près du but, tout doit être fait pour que les négociations menées avec l’aide des États-Unis, soutenues par l’Europe, aboutissent rapidement. Il faut que l’État palestinien soit viable, garantissant ainsi son avenir et la sécurité de tous.
La France, pour sa part, avec ses partenaires de l’Union européenne, est prête à accompagner la paix et à apporter sa contribution à la garantie des accords qui seraient conclus.
Il est temps aussi que les fils de la discussion entre la Syrie et Israël soient renoués. Le statu quo n’est dans l’intérêt d’aucun des deux pays. J’en ai la conviction profonde. Notre position, équilibrée, vise à aider le président Bachar el-Assad et le Premier ministre Ehud Barak à trouver les chemins d’une paix juste, globale et durable. Mon objectif est qu’ils parviennent à surmonter la méfiance. Cette méfiance qui n’a pas permis qu’aboutissent, à ce stade, les négociations engagées courageusement, dès 1993, par le président Hafez el-Assad et le Premier ministre Itzhak Rabin.
La France, chacun le sait, est l’amie du Liban et de tous les Libanais, aux moments difficiles comme aux moments où l’espoir reprend le dessus. Son ambition est d’aider les autorités libanaises à étendre leur souveraineté sur tout leur territoire et à bâtir un Liban indépendant, rassemblé, démocratique et moderne, vivant en bonne entente avec tous ses voisins ; un Liban qui sortirait de la crise économique qui le frappe actuellement et qui retrouverait sa vocation de pôle important d’activité dans sa région.
Il faut saluer l’application de la résolution 425. Il faut saluer la responsabilité dont ont fait preuve l’ensemble des parties lors du retrait israélien. La France continuera à apporter toute sa contribution à la stabilité du Liban et de la région. Elle le fera au Conseil de sécurité, par son activité diplomatique, par sa présence dans la Finul et par l’effort qu’elle mène en faveur de la reconstruction du pays, notamment au niveau de l’Union européenne.
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Au-delà de la Méditerranée, au sud du Sahara, nous ne pouvons nous résigner à voir l’Afrique, à laquelle tant de liens nous attachent, rester à l’écart de la mondialisation qui devrait accroître les espaces d’échanges et de liberté. Nous ne pouvons nous résigner à voir ce continent s’abîmer dans les conflits et la tragédie humaine. Je pense en particulier à l’Afrique centrale et à la Sierra Leone qui épuisent leur peuple dans des guerres sans fin. Les populations sont décimées, les pays détruits, tandis que les ressources, pillées, alimentent les fauteurs de guerre. Le recours aux armes pour s’emparer du pouvoir, comme si l’usage de la force était un moyen légitime de parvenir à ses fins, n’a en réalité d’autres résultats que d’enchaîner les violences et de repousser les solutions, sans conférer de légitimité politique à leurs auteurs.
La France approuve la condamnation par l’OUA de la prise du pouvoir par la force. Elle ne ménage pas ses efforts pour que la communauté internationale fasse son devoir à l’égard de l’Afrique. Devoir de solidarité qui passe, là comme ailleurs, par une augmentation du volume de l’aide publique internationale et par une accélération de l’annulation des dettes. Devoir de soutien à la construction de la démocratie et de l’État de droit, indispensable au développement. La route est pleine d’obstacles mais gardons notre cap, en continuant à appuyer, plus que jamais, les États africains respectueux des valeurs humaines et des libertés publiques, ouverts au débat démocratique, engagés sur la voie de la croissance économique et de l’ouverture sociale. Notre politique en Afrique se nourrit d’une relation ancienne et privilégiée que nous souhaitons maintenir. Cette politique doit être généreuse. Elle ne doit pas pour autant être exclusive de vigilance et de franchise.
Il est enfin primordial que les Nations unies continuent d’accorder la priorité qui s’impose au règlement des conflits en Afrique. La France est bien sûr prête à y prendre toute sa part. Elle apportera son concours à la mise en place de la force qui doit accompagner, en Afrique centrale, les accords de Lusaka. Je rappelle les bases de cet accord, essentielles à un règlement politique : respect de l’intégrité des pays, prise en compte de leurs préoccupations de sécurité et relance du dialogue politique interne. Mais cette force ne pourra se déployer que si toutes les parties coopèrent sans réserve avec les Nations unies. En poursuivant ses efforts afin d’obtenir cette coopération, le secrétaire général protège la future force. Il défend aussi les seules chances de voir s’instaurer rapidement la paix dans la région.
En Afrique ou ailleurs, comment aider l’Onu à remplir au mieux sa mission de maintien de la paix ? Il n’est pas acceptable qu’une nouvelle fois, comme ce fut le cas en Sierra Leone, des casques bleus aient été pris en otages. Ce n’est pas seulement un problème de mandat ni une affaire de moyens. Les États membres des Nations unies doivent avoir le courage de s’interroger sur les vraies raisons de telles défaillances et sur les moyens de les corriger. La France souhaite que les Nations unies se dotent d’une stratégie globale de traitement des conflits. Stratégie intégrant des opérations de maintien de la paix renforcées, des embargos sur les trafics de ressources nationales, des mesures contre les chefs de guerre et les États qui refusent de tenir les engagements pris lors de la signature d’accord de paix. Il est anormal que ces États continuent à recevoir une aide financière de la communauté internationale. Leur apporter une telle aide, c’est en effet détourner des ressources qui pourraient bénéficier à des pays qui, eux, font un véritable effort de paix et de développement. Membre permanent du Conseil de sécurité, la France apportera toute sa contribution à l’élaboration et à la mise en œuvre de cette stratégie globale. Le sommet du Millénaire sera l’occasion d’en débattre.
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Penser la paix, c’est aussi intégrer sa dimension universelle. Rien ne paraît plus important à cet égard que la poursuite déterminée du désarmement et des efforts de non-prolifération des armes et des technologies militaires. Mais comment convaincre ceux qui pourraient renoncer à se doter de nouvelles armes, si les plus puissants estiment nécessaire de développer des technologies qui remettent en cause les équilibres stratégiques difficilement acquis ?
Je le dis depuis plus d’un an avec la force que donnent l’amitié et l’appartenance à la même alliance, il serait dangereux de remettre en cause le traité ABM. Ne prenons pas le risque de relancer la course aux armements car il y va du sort des générations futures. Le débat est encore ouvert. Je conserve l’espoir que la raison finira par l’emporter.
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Mesdames et Messieurs les ambassadeurs, en choisissant le métier que vous exercez, vous avez choisi de servir l’État mais surtout de servir la France. C’est un honneur, c’est un privilège de pouvoir parler en son nom et de porter les valeurs qu’elle incarne. Cela impose des devoirs. Et j’ai pu mesurer au cours de mes visites que vous aviez à cœur de les remplir.
Le métier d’ambassadeur évolue vite. Il faut savoir s’adapter et vous avez su le faire.
La diffusion immédiate des informations à travers le monde par les canaux modernes de communication rend votre tâche encore plus stimulante, plus exigeante. Il vous revient de distinguer le vrai dans une information parfois incertaine ou imprécise, d’apporter par vos analyses l’éclairage qui situe un événement dans son contexte et le place en perspective. Il vous revient également, par votre immersion dans le pays où vous travaillez et votre connaissance des dossiers, d’être à l’affût des signaux annonciateurs d’évolutions en profondeur. Soyez au contact de la société civile qui, partout, évolue rapidement.
Expliquer la position de la France, défendre ses intérêts politiques, culturels et économiques, assurer la protection de nos compatriotes est votre tâche quotidienne. Ayez toujours à l’esprit que la promotion des entreprises françaises, petites ou grandes, se traduit en termes d’emplois et de richesses pour notre pays. Soyez présents dans les médias pour présenter la France et ses positions. Soyez en prise avec la vie et les préoccupations des citoyens. Soyez à l’écoute. Prenez des initiatives.
Voilà ce que moi-même, le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères, attendons de vous. ♦