Allocution du Premier ministre, le 22 septembre 2000, lors de l'ouverture de la session annuelle de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN).
La politique de défense de la France
Pour la quatrième fois, j’ai le plaisir d’intervenir devant l’Institut des hautes études de défense nationale, à l’invitation de l’amiral Célérier. J’adresse mes vœux de succès à M. Jean-Marie Guéhenno, qui quitte la présidence de l’IHEDN pour prendre la tête du département des opérations de maintien de la paix à l’Organisation des Nations unies. Je tiens à saluer les nouveaux auditeurs et, parmi eux, les auditeurs étrangers qui participent à votre session nationale. Leur présence ici traduit le souci de favoriser un meilleur partage de notre réflexion stratégique à l’heure de la construction de l’Europe de la défense. Cette construction se poursuit aujourd’hui même, à travers la réunion à Ecouen des ministres européens de la Défense. Je voudrais également adresser un salut amical à M. Javier Solana, Haut-Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, et à M. Björn von Sydow, ministre de la Défense de la Suède, qui ont accompagné ici M. Alain Richard, ministre français de la Défense.
Ensemble, nous œuvrons à un projet ambitieux : donner corps à l’Europe de la défense. La responsabilité de la France, qui assume la présidence de l’Union européenne, est de concrétiser les orientations définies en commun depuis deux ans. Notre histoire, notre statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, nos engagements sur la scène internationale, nous invitent à inscrire cette démarche dans une vision large. En effet, notre sécurité et celle de nos partenaires européens dépendent aussi d’une meilleure régulation des rapports internationaux et de la discipline collective du désarmement. Notre pays doit par ailleurs, pour faire face à l’ensemble de ses responsabilités, continuer d’adapter ses propres capacités militaires. L’Europe de la défense, le désarmement et la lutte contre la prolifération, la modernisation de notre outil militaire sont donc trois volets de notre politique de défense que je voudrais évoquer devant vous.
La construction de l’Europe de la défense entre dans une phase concrète
Il y a cinquante ans, Winston Churchill proposait à l’Assemblée consultative européenne que soit mise sur pied une armée européenne. En l’absence d’un cadre juridique commun, faute surtout d’une autorité politique européenne apte à le porter, ce projet n’a pas connu de suite. Aujourd’hui, il ne s’agit pas de créer une armée européenne, mais de donner à l’Union européenne la capacité de gérer les crises par la mise en commun de moyens nationaux et collectifs. Et nous partageons aujourd’hui la conviction qu’il nous faut pour cela mettre en oeuvre une politique commune de sécurité et de défense, pleinement autonome et s’appuyant sur des capacités militaires crédibles.
C’est là le fruit d’une prise de conscience collective et progressive. Depuis dix ans, à travers ses drames, la crise des Balkans souligne le besoin d’une politique européenne de défense. Avec le traité de Maastricht, à l’adoption duquel François Mitterrand a tant contribué, les Européens se sont dotés du socle juridique sur lequel repose, dans une large mesure, la construction politique en cours. Depuis 1998, une dynamique nouvelle s’est créée. L’esprit insufflé à Saint-Malo, en décembre 1998, fut conforté à Cologne en juin 1999 et s’est traduit dans les décisions des conseils européens d’Helsinki et de Feira. Et le conflit du Kosovo a précipité la prise de conscience politique des Quinze. Jamais auparavant les chefs d’État et de gouvernement de l’Union n’avaient été amenés à se concerter aussi étroitement que lors de trois Sommets européens – à Berlin, Bruxelles puis Cologne – sur les dimensions diplomatique, politique et militaire de la gestion d’une crise ouverte. Ces circonstances difficiles ont aussi démontré que l’Union européenne devait désormais assumer pleinement les responsabilités que lui confèrent son poids économique, son rôle politique, sa vocation historique.
Nous pouvons être fiers du chemin parcouru en deux ans. Nous avons dessiné l’architecture institutionnelle de l’Europe de la défense. Nous nous sommes dotés, le 1er mars dernier, des premières structures devant permettre à l’Union européenne de définir les choix politiques et la direction stratégique nécessaires à la conduite des opérations dites de Petersberg. De nouveaux organes, précurseurs des organes définitifs, ont été constitués : un comité politique et de sécurité intérimaire, un organe militaire intérimaire composé des représentants des chefs d’état-major des Quinze et un groupe d’experts formant le noyau du futur état-major de l’Union. La mise en place simultanée d’organes politiques et militaires était nécessaire afin d’établir rapidement la cohérence d’ensemble du dispositif. C’est aujourd’hui chose faite. Ces structures, qui fournissent un travail de qualité, préfigurent les instances permanentes de l’Europe de la défense. C’est en leur sein que se forge progressivement une culture de défense commune.
L’action de la présidence française de l’Union s’inscrit résolument dans la continuité de cette démarche. Elle poursuit trois objectifs : pérenniser cette architecture institutionnelle, concrétiser les engagements pris en matière de capacités militaires, développer les outils d’une gestion civile des crises.
Ces nouveaux organes de défense doivent s’intégrer de façon pérenne dans les structures de l’Union. Cette dernière doit en effet pouvoir gérer, grâce à une gamme complète d’options diplomatiques, économiques et militaires, des crises qui mettraient en jeu les intérêts ou la sécurité de l’Europe. C’est une spécificité des pays de l’Union européenne que de disposer ainsi d’une grande diversité d’instruments complémentaires pour la gestion des crises. Il nous faut en tirer le meilleur parti. L’objectif de la France est d’instaurer ces organes permanents dès le sommet européen de Nice, les 7 et 8 décembre prochains, afin qu’ils soient pleinement opérationnels au plus tard à l’été 2001. Le COPS, chargé d’assurer le contrôle politique et la direction stratégique, s’appuiera sur l’expertise et les avis du Comité militaire. Au sein de ces deux organes, les représentants des États exploiteront les travaux de l’état-major de l’Union européenne. Cet état-major devra disposer de véritables compétences de veille, d’évaluation de situation et de planification stratégique.
Deuxième objectif, il nous faut concrétiser la constitution de capacités militaires autonomes. À Helsinki, afin de pouvoir assurer l’ensemble des missions de Petersberg de maintien et de rétablissement de la paix, les Quinze se sont donné pour objectif d’être en mesure de déployer dès 2003, en 60 jours et pendant au moins un an, une force de réaction rapide de l’importance d’un corps d’armée – c’est-à-dire de 50 à 60 000 hommes pour sa composante terrestre – à partir de moyens provenant des pays de l’Union. Cette force devra être dotée de moyens propres de renseignement, de commandement, de contrôle et de logistique. Elle devra aussi compter des capacités de combat aériennes et navales, en cohérence avec le niveau des forces terrestres. Dans ce but, la conférence d’engagement des capacités qui se tiendra à Bruxelles à la fin du mois de novembre sera un rendez-vous essentiel. Les États-membres s’engageront alors précisément sur la nature et le volume de leurs contributions militaires. Soucieuse du mandat confié à Feira, consciente de sa responsabilité pendant sa présidence dans le suivi du processus, la France mobilise tous ses efforts pour parvenir à traduire notre objectif politique commun en une évaluation précise des besoins et en une participation de chacun à l’effort collectif.
Troisième objectif, il est indispensable de développer les outils d’une gestion civile des crises. En Albanie, en Bosnie, au Kosovo ou même au Timor, les opérations militaires se sont accompagnées d’actions d’assistance aux populations. Il faut chaque fois reconstruire, remettre sur pied une administration, permettre à la justice, à la santé publique, à la police de fonctionner. Le déploiement actuel de forces de police dans les Balkans vise ainsi à établir un relais entre une action administrative sous mandat international et la remise en route du fonctionnement régulier d’un État. C’est pour être en mesure de remplir ces missions que les Quinze, au sommet de Feira, se sont engagés à fournir d’ici 2003, sur une base volontaire, jusqu’à 5 000 policiers, dont 1 000 déployables dans un délai de trente jours pour des missions internationales. Cette force de police devra être en mesure d’exécuter des opérations de maintien de l’ordre et des missions de conseil, de formation et d’assistance. La France entend y contribuer par les moyens de la gendarmerie ainsi que, pour certaines missions, ceux de la police nationale.
À travers ces trois objectifs, la politique de sécurité et de défense de l’Union s’apprête à accomplir des progrès décisifs. Cette politique procède, dans son élaboration comme dans son exécution opérationnelle, du Conseil européen. C’est à lui seul qu’il reviendra de décider. Le sommet de Nice marquera donc une étape importante. Il y sera pris acte des engagements capacitaires concrets mais aussi des lacunes que les États devront s’attacher à combler. Notre but, à terme, est également de créer des synergies entre les nouveaux engagements des États et les actions habituelles de l’Union européenne. À ce titre, les responsables et les services concernés de la Commission, tout comme le Parlement européen, devront jouer pleinement leur rôle.
Le développement par les Quinze d’une capacité autonome de gestion de crise est un processus transparent et ouvert. Celui-ci s’effectue en harmonie avec nos partenaires de l’Alliance atlantique et des pays européens non membres de l’Union. Les Quinze ont souhaité à Feira établir des arrangements permettant aux membres européens de l’Otan qui ne font pas partie de l’Union et aux candidats à l’adhésion de contribuer aux opérations militaires de gestion de crise de l’Union européenne. Dans ce cadre, les modalités d’une consultation régulière avec l’Otan sont en cours de définition. Les arrangements Union-Otan devront de surcroît organiser la mise en œuvre concrète des décisions dites de « Berlin + », prises par le Conseil atlantique en 1996, c’est-à-dire assurer la disponibilité pour l’Union européenne des moyens de l’Alliance et fournir à l’Union un accès aux capacités de planification de l’Otan.
Les rapports entre ces deux organisations doivent bien sûr être confiants. En témoigne l’engagement de l’état-major du corps européen à la tête de la Kfor dans le cadre d’une opération conduite par l’Otan. Par cet engagement, les Européens ont fourni la preuve concrète de leur aptitude à mobiliser des moyens militaires importants dans une opération au service de la paix. Déployé depuis le 18 avril 2000, le corps européen a en effet confirmé son caractère opérationnel au sein d’une chaîne de commandement de l’Otan. Ce succès conforte la décision de le transformer pour 2001 en un corps européen de réaction rapide, disponible tout particulièrement pour des opérations de gestion de crise dirigées par l’Union, mais aussi disponible au besoin pour l’Otan.
Grâce au travail de l’OSCE et de la Minuk, grâce à l’engagement personnel du représentant des Nations unies placé à la tête de cette dernière, M. Bernard Kouchner, des élections locales se tiendront prochainement au Kosovo. Je tiens à souligner combien cette étape est cruciale dans le processus du rétablissement de pouvoirs publics réguliers. Je forme le vœu que cette consultation rende possible dans ce territoire l’affirmation des valeurs démocratiques et qu’elle contribue ainsi à y enraciner la paix. La France sera d’ailleurs particulièrement attentive aux conditions dans lesquelles se dérouleront, à la fin de cette semaine, les élections organisées par Belgrade. Le respect des droits de l’Homme, la promesse de paix et de prospérité que porte la démocratie, les valeurs de progrès que les Européens ont en partage, fondent leur engagement collectif dans la gestion des crises sur le continent. C’est au service du droit international et au service des résolutions des Nations Unies que la France et ses partenaires européens mettent leur action internationale et leurs engagements extérieurs.
Cette même inspiration doit continuer de guider l’action extérieure de l’Union européenne. Pour les États membres de l’Union européenne, la sécurité du continent et la stabilité des régions voisines constituent certes les enjeux les plus immédiats et les plus tangibles. Mais les Quinze ne peuvent se désintéresser de la marche du monde. La sécurité internationale gagnerait ainsi à ce que l’Union européenne puisse s’impliquer hors d’Europe, en soutien d’actions engagées sous l’autorité de l’Onu. Les Quinze pourraient à cette fin contribuer au renforcement, décidé au cours du sommet du « Millénaire », des capacités de l’Onu en matière de planification, de mise en place et de conduite des opérations de maintien de la paix. L’Union pourrait s’engager, par exemple en Afrique, sous l’égide de l’Onu et en relation étroite avec l’OUA, pour favoriser la mise en œuvre de nouvelles coopérations, notamment au service du rétablissement de l’État de droit.
Travailler à la paix et prévenir les tensions internationales suppose également de rechercher une meilleure maîtrise de la course aux armements.
La France, par ses efforts, contribue au désarmement de la planète
Depuis dix ans, notre pays a réduit son armement. C’est dans le domaine nucléaire que l’effort a été le plus spectaculaire. L’an passé, ici même, j’ai exposé plus complètement comment la France a récemment entrepris de modifier son arsenal nucléaire en mettant en avant le principe de stricte suffisance. Dans le contexte stratégique actuel, nous veillons cependant à ce que l’évolution de nos équipements prenne en considération les armes balistiques et de destruction massive dont se dotent certaines puissances, et que ces équipements soient en mesure de dissuader toute menace, même lointaine. En œuvrant à la réduction des armements sur notre continent, mais en restant vigilante face à l’émergence de risques qu’elle entend pouvoir contrer en toutes circonstances, notre dissuasion constitue la meilleure garantie face aux menaces qui mettraient en cause la survie de notre pays. Ce faisant, notre dissuasion contribue à la sécurité de l’Europe.
L’effort que la France a consenti doit s’inscrire dans une discipline internationale et collective plus stricte.
Il nous faut redonner force aux régimes multilatéraux d’interdiction et de contrôle dans les domaines nucléaire et balistique. Ces régimes ont démontré leur efficacité. Ils ont eu un impact décisif sur un grand nombre de pays qui auraient, sinon, pu céder à la tentation de se doter d’armes proliférantes, mais qui y ont renoncé en échange de garanties internationales. Ils ont également fortement contribué à compliquer l’entreprise de ceux qui persistent dans le dessein de développer ou d’acquérir des armes de destruction massive. Ces régimes multilatéraux ne doivent pas, avec le temps, devenir des chefs-d’œuvre diplomatiques en péril. C’est pourquoi la France souhaite, pour ces régimes, que soient assurées leur universalisation progressive et leur application effective et contrôlée. Nous entendons poursuivre les négociations sur des mesures efficaces relatives au désarmement chimique et au risque biologique. Nous continuerons de promouvoir et de soutenir toutes les initiatives concrètes en matière de non-prolifération nucléaire et balistique.
Il est urgent d’agir en ce sens. La période récente a malheureusement vu se ralentir ces négociations. Et dans certaines régions du monde, la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs s’est aggravée. Ainsi, les obstacles persistants à l’entrée en vigueur du traité d’interdiction complète des essais nucléaires, la paralysie du processus de négociation du traité sur l’interdiction de la production des matières fissiles pour des armes nucléaires ou la poursuite de programmes nucléaires militaires par des États non parties au TNP démontrent qu’il nous faut accroître notre effort.
Sur ces sujets, il convient de saluer la ratification par la Russie des traités Start 2 et d’interdiction complète des essais nucléaires, ainsi que la volonté de ce pays d’engager des négociations avec les États-Unis pour de nouvelles réductions des arsenaux stratégiques. Ces décisions auront, on peut l’espérer, un impact positif sur l’attitude américaine à l’égard du traité d’interdiction complet des essais nucléaires. La réduction des capacités nucléaires surdimensionnées des États-Unis et de la Russie reste en effet d’actualité. La France contribue activement et concrètement aux programmes AIDA d’aide au démantèlement d’armes nucléaires russes et au retraitement du plutonium militaire. La France s’est ainsi engagée, depuis 1992, dans un programme de coopération qui l’a conduite à investir 460 millions de francs sur six ans dans ces domaines. Je veux souligner devant vous que le gouvernement français est disposé à consentir un effort comparable dans les prochaines années. Cet engagement renouvelé de notre pays suppose bien entendu que les conditions de développement du programme soient réunies, et notamment que soit précisée l’organisation multilatérale que la déclaration des chefs d’État et de gouvernement du G 8, à Okinawa, a prévu de mettre en place. Le prochain sommet de Gênes, en 2001, sera l’occasion de faire le point sur ces questions essentielles.
Pour nous, en effet, la réponse à la prolifération ne saurait reposer sur des contre-mesures unilatérales ou sur des systèmes antimissiles. Non seulement la protection que ces mesures pourraient apporter apparaît bien hypothétique, mais encore leur adoption constituerait une menace pour les équilibres internationaux. Nous avons rappelé à plusieurs reprises à nos amis américains notre préoccupation quant aux effets du projet de défense antimissiles du territoire des États-Unis, s’il devait voir le jour. Il fait craindre une relance de la course aux armements et la remise en cause du traité ABM. S’il ne suffit pas à nous rassurer, le récent ajournement de la décision de déploiement de la NMD est en soi un geste significatif. Je souhaite qu’il soit propice à une nouvelle réflexion de notre allié américain, chez qui le débat reste ouvert.
Désarmer, c’est aussi lutter contre la prolifération de menaces plus diffuses.
C’est pourquoi nous poursuivrons notre politique de contrôle des biens et technologies qui pourraient être détournés vers des usages proliférants. Notre participation active au régime de contrôle des technologies de missiles – MTCR – illustre ce souci. La France entend de même intensifier l’échange d’informations et de renseignements avec ses partenaires européens sur les transferts de technologie à risque. Une première étape a été franchie avec la mise en place du code de conduite de l’Union européenne sur les exportations d’armement, signé par la France le 8 juin 1998, et les dispositions contenues dans les accords de la LoI signés à Farnborough le 27 juillet 2000. La restructuration de l’industrie européenne de l’armement rend par ailleurs indispensables une harmonisation et une coordination plus étroites des politiques de contrôle.
Il reste absolument nécessaire de lutter contre les menaces chimiques et biologiques. Malgré la signature, dès 1972, de la Convention d’interdiction des armes biologiques, ce domaine de la non-prolifération connaît des progrès trop lents. La France continue de plaider pour la mise en place de mesures de vérification afin d’empêcher le développement de programmes biologiques offensifs : déclaration des laboratoires civils et militaires engagés dans certains travaux, visites permettant de vérifier l’exactitude de ces déclarations, enquêtes plus intrusives en cas d’allégation de violation de la Convention. Nous souhaitons donc en priorité obtenir la mise en place d’un protocole de vérification de cette Convention.
Pour sa part, la France est en ce domaine scrupuleusement fidèle à ses engagements. Notre pays, comme je vous l’ai dit, est activement engagé dans le programme AIDA d’aide au démantèlement des armes nucléaires russes ; il est également disposé – en coopération notamment avec ses partenaires de l’Union européenne – à étudier les demandes d’assistance que lui présentera la Russie pour la destruction de ses armes chimiques, dont le stock considérable reste un problème majeur.
Notre engagement pour le désarmement doit aller au-delà. Il apparaît en effet indispensable de mieux contrôler le commerce de certaines armes qui, sans mettre en péril les équilibres stratégiques, frappent d’une façon particulièrement meurtrière. Je pense en particulier aux armes de petit calibre. Chacun a en tête ces guerres civiles sans fin qui accablent les populations de certains pays. Elles sont facilitées par l’accumulation de stocks d’armes que nourrit un commerce illicite en plein essor. Depuis la fin de la guerre froide, les armes dites légères – qui vont de l’arme de poing au mortier – ont causé la mort de plusieurs millions de personnes. Dans ce domaine, la France a choisi d’aller de l’avant. Elle défend le projet d’une convention sur le marquage, l’identification et le contrôle des armes légères et de petit calibre, pour en assurer la traçabilité et mieux en contrôler le commerce.
Dans le même esprit, il nous faut amplifier la lutte contre les mines antipersonnel. Le gouvernement a particulièrement œuvré à la ratification et à la mise en œuvre de la convention d’Ottawa. La France a achevé dès la fin de 1999 l’élimination du stock de mines antipersonnel de ses armées, soit plus d’un an avant l’échéance fixée par la loi française. Nous déplorons la réticence de certaines grandes puissances à s’engager dans cette voie. Sensible aux arguments développés par la Commission nationale pour l’élimination des mines antipersonnel dans le rapport qu’elle vient de me remettre, le gouvernement français soutient l’objectif de rendre universelle la convention d’Ottawa et entend renforcer sa participation humaine et financière aux nombreuses opérations de déminage nécessaires à travers le monde.
Tout en contribuant à une plus grande maîtrise de la course aux armements, la France doit disposer de capacités militaires crédibles : pour assurer sa propre sécurité, pour prendre toute sa part à l’édification de l’Europe de la défense et pour assumer, au service de la paix, l’ensemble de ses engagements internationaux.
Le gouvernement entend donc poursuivre la modernisation de notre outil de défense
Nos forces armées doivent répondre à des besoins nouveaux. Profondément réformées, à l’initiative du chef de l’État, à partir de 1996, elles sont appelées à opérer sur des théâtres proches ou éloignés, sous faible préavis, dans des coalitions diverses, où l’Union européenne interviendra de plus en plus souvent en tant que telle. Nos armées sont ainsi susceptibles d’être confrontées à des changements rapides de posture, allant du combat de haute intensité à l’assistance aux populations civiles. Cela exige que nos capacités militaires deviennent plus mobiles et plus aisément adaptables.
Le gouvernement y travaille avec un souci de continuité et de cohérence dans la mise en œuvre de la réforme de notre outil de défense. Conformément aux engagements que j’ai pris en 1997, le gouvernement est en passe de mener à son terme la professionnalisation de nos armées et il poursuit l’exécution de la loi de programmation en l’actualisant conformément aux besoins. Au mois de juillet dernier, le gouvernement français, attentif au problème posé par le vieillissement du transport aérien militaire, notamment du Transall, a fait part de son intention de commander cinquante exemplaires de l’avion A400M produit par EADS. Une dotation en autorisations de programme concrétisera cet engagement dans la loi de finances rectificative pour 2000. De même, Alain Richard devrait signer aujourd’hui la commande de deux frégates Horizon, favorisant de la sorte le renouvellement de notre flotte de surface. En outre, le programme d’équipements de guerre électronique du Rafale sera prochaine ment financé. Enfin, en cohérence avec mon propos précédent sur la dissuasion nucléaire, la commande du quatrième SNLE est intervenue.
Pour répondre aux besoins des armées, j’ai souhaité qu’il n’y ait pas de solution de continuité dans le processus de programmation militaire. C’est pourquoi j’ai annoncé ici même, il y a un an, le lancement des travaux préparatoires de la nouvelle loi de programmation militaire pour l’après 2002. Selon les instructions qu’ils ont reçues, les états-majors travaillent à ce que la future loi de programmation puisse prendre le relais de la précédente en respectant la cohérence du modèle d’armée 2015. La phase de finalisation de ces travaux est engagée et devrait permettre leur présentation, par Alain Richard, au gouvernement et au président de la République.
Sans en aborder le détail, je crois utile d’évoquer quelques grandes orientations de la réflexion en cours. La prochaine loi sera celle de la consolidation de la professionnalisation. À ce titre, elle devrait prévoir des dispositifs destinés à conforter le recrutement, la formation et la reconversion des personnels militaires. L’aptitude opérationnelle des forces demande à être mesurée et quantifiée pour permettre notamment une appréciation des contributions à l’effort commun européen. C’est pourquoi la loi devrait fixer des objectifs en matière d’activité, d’entraînement et de fonctionnement des forces. Alors que l’Europe de la défense monte en puissance, le gouvernement n’a pas l’intention de relâcher l’effort de défense. Cela étant, sur le plan européen, la mise en œuvre de moyens, de synergies nouvelles et de programmes de coopération devrait cependant permettre à moyen terme de dégager des économies. Le travail de programmation en cours doit donc également en tenir compte en traçant des perspectives nouvelles pour les armées.
Les équipements devraient faire l’objet d’une programmation physique et financière pour chacun des systèmes de force composant notre outil de défense. S’agissant des moyens de combat, il nous faut privilégier la capacité d’action dans la profondeur, le renouvellement des bâtiments de combat, les moyens terrestres et aériens d’appui et de protection.
Priorité devrait également être donnée aux capacités de veille, de renseignement et d’évaluation stratégique, notamment dans leur dimension spatiale, ainsi qu’aux capacités d’appréciation de situation et de commandement. Le potentiel de projection des forces devrait d’autre part être développé. La recherche mériterait par ailleurs un effort spécifique.
En règle générale, la future loi de programmation devra veiller à la cohérence opérationnelle de nos armées et à l’interopérabilité de leurs équipements.
Telles sont les réflexions dont je tenais à vous faire part, alors que nous sommes à mi-parcours de la présidence française de l’Union européenne. C’est en effet dans un cadre européen qu’il nous faut désormais penser notre défense. Je ne doute pas qu’au cours des prochains mois, vos travaux sur « les évolutions stratégiques et la permanence des crises » contribueront à enrichir la réflexion prospective sur l’Europe de la défense. C’est en tout cas le vœu que je forme, en souhaitant un plein succès à votre session de l’IHEDN. ♦