Après l'historique très complet de l'Europe de la défense traité dans le numéro précédent, l'étude conduite par M. Pierre Baudin aborde les questions institutionnelles et en dévoile des aspects méconnus. Ont collaboré à cette étude : Alain Biron, Hervé Boca, Christophe Cornu, Patrice Dabos, Arnould Lefébure et Geoffroy de Rsomorduc.
Les aspects institutionnels de l’Europe de la défense
Une politique européenne de défense exige une volonté politique, une base juridique, des institutions, des missions et des moyens. La volonté politique existe. Elle a été le résultat d’un long processus de maturation qui s’est concrétisé au sommet européen sans caractère officiel des chefs d’État ou de gouvernement de Pörtschach, les 24 et 25 octobre 1998. En effet, c’est à Pörtschach, en Autriche, que Tony Blair déclarait que « son pays était désormais disposé à s’engager en faveur d’une Identité européenne de défense qui pourrait constituer un quatrième pilier de l’Union européenne », posant ainsi, dès le départ, le problème institutionnel de l’Europe de la défense. À partir de Pörtschach, les événements se sont précipités pour aboutir, les 10 et 11 décembre 1999 au sommet d’Helsinki dont les conclusions sont connues (1).
Est-ce que la volonté politique sera maintenue ? Est-elle sincère ? Il n’existe pas a priori de raison d’en douter. Des objectifs quantitatifs ont été déterminés, des calendriers précis ont été fixés. Les échéances ont été respectées, et la France, qui assure la présidence de l’Union depuis le 1er juillet 2000, s’emploie activement à la mise en place de l’Europe de la défense. Mais de nombreux problèmes demeurent, notamment du point de vue institutionnel, quand on analyse les préoccupations qui ont été à la base du processus d’élaboration de la défense européenne. La première phrase des conclusions du sommet européen de Cologne des 3 et 4 juin 1999 est significative à ce sujet : « Nous, membres du Conseil européen, sommes déterminés à voir l’Union européenne jouer pleinement son rôle sur la scène internationale. À cette fin, nous avons l’intention de doter l’Union européenne des moyens et capacités nécessaires pour assumer ses responsabilités concernant une politique européenne commune en matière de sécurité et de défense ». Lors d’un colloque tenu à Paris, le 3 décembre 1999, Hubert Védrine a été encore plus clair : « Ce n’est pas parce que l’Europe a besoin d’être mieux défendue qu’une Europe de la défense est aujourd’hui en cours d’édification, mais parce que l’Europe entend maintenant jouer tout son rôle… L’Europe de la défense devient un prolongement naturel et logique de la construction européenne. Défense et sécurité, sécurité et politique commune, union politique et union économique vont aujourd’hui ensemble et font partie de notre légitime ambition européenne ». Dès lors, se pose le problème institutionnel, c’est-à-dire quel est l’apport de l’Europe de la défense à la construction européenne et, notamment, quelle est la nature de ce nouveau « matériau » de construction.
La base juridique
Certes, la volonté politique est le point de départ du processus d’unification de l’Europe, mais cette volonté doit se matérialiser dans un cadre institutionnel, dans un traité, étant donné que l’État de droit est un des fondements de la construction européenne. Le traité, au-delà des dispositions particulières, est surtout l’expression d’une option philosophique concernant, notamment, le transfert de certains attributs de la souveraineté des États membres. En cette matière deux grandes philosophies s’opposent. L’une est de type communautaire avec des institutions communes et des décisions prises généralement à la majorité simple ou qualifiée. L’autre est de type intergouvernemental avec des décisions prises généralement à l’unanimité par le Conseil ou, dans certains cas, par le Conseil européen. Les débats sur le choix de l’une ou de l’autre solution ont été passionnés et, si leur virulence a diminué, se poursuivent encore aujourd’hui. Mais si l’on doit attendre qu’il y ait unanimité en préalable à toute avancée de la construction européenne, on risque d’être bloqué pour de nombreux dossiers ; ce qui a été le cas en 1954, avec l’échec de la Communauté européenne de défense (CED) et, en 1962, avec les plans Fouchet. Pour éviter cette impasse, les chefs d’État ou de gouvernement ont fait preuve d’imagination et de pragmatisme. Trois traits majeurs semblent avoir caractérisé leur démarche.
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