Défense en Europe - L'Europe et la Méditerranée
Que la mer Méditerranée soit une composante essentielle de la sécurité européenne est une banalité que rien ne vient objectivement démentir. Cette mer constitue, en effet, le flanc Sud du continent au profit duquel elle joue plusieurs rôles : espace de manœuvre, aire de flux logistiques ou zone de contact avec l’Afrique et l’Asie. Elle est, en tout cas, suffisamment vaste pour que plusieurs nations la considèrent comme un enjeu national majeur. C’est donc par le biais des institutions internationales que l’étude la plus cohérente peut en être effectuée.
L’Union européenne
L’intérêt que l’Union éprouve de longue date pour la Méditerranée a été concrétisé dans le processus de Barcelone. Les 27 et 28 novembre 1995, la conférence euroméditerranéenne des ministres des Affaires étrangères a établi ce cadre régional pour rassembler les partenaires et promouvoir leurs intérêts communs. Elle s’adressait, outre les pays de l’Union européenne, à l’Algérie, l’Égypte, Israël, la Jordanie, le Liban, le Maroc, l’Autorité palestinienne, la Syrie, la Tunisie et la Turquie. Des réunions de suivi ont eu lieu en 1997 à Malte, en 1998 à Palerme, en 1999 à Stuttgart et en 2000 à Lisbonne, mais elles ont supporté le handicap de la situation politique et militaire en Israël. De ce fait, leurs résultats, bien que non négligeables, n’étaient pas, cinq ans après le début des travaux, à la hauteur des ambitions.
Pour dépasser ce constat et reprendre le travail sur des bases plus saines, l’Union voulait disposer d’un projet politique. Le conseil européen de Feira (juin 2000) adoptait donc une stratégie commune à l’égard des pays bénéficiaires du processus, auxquels était ajoutée la Libye. Elle vise trois objectifs : créer une zone de paix, former une région de prospérité partagée, assurer la promotion d’une société civile active. Parmi les domaines d’action se trouve un important volet consacré à la sécurité au titre duquel il est question de définition d’un espace commun de paix et de sécurité, de prévention des conflits, de gestion des crises et de maîtrise des armements.
En septembre dernier, la Commission poursuivant cette action a publié une communication intitulée Un nouvel élan pour le processus de Barcelone. Après une analyse sans complaisance des défauts enregistrés antérieurement, elle propose des modalités d’action assorties des nécessaires soutiens budgétaires. On n’y trouve pas de proposition en matière de défense, néanmoins, la communication fait référence à une charte pour la paix et la stabilité qui viserait à la prévention des conflits et à la sécurité coopérative. Ce document de la Commission a le mérite de structurer un effort, de l’inscrire dans la durée et d’entretenir l’élan insufflé à Feira.
La présidence française de l’Union européenne pouvait alors convoquer une réunion Euromed à Marseille, les 15 et 16 novembre 2000. Le regain de tension en Israël pesait naturellement sur ses travaux, mais elle ancrait encore un peu plus le processus. Ses conclusions constatent la maigreur des résultats atteints depuis 1995 mais se prononcent en faveur d’un partenariat politique et de sécurité. Elles fixent ainsi des objectifs : renforcer le dialogue politique, rapprocher les perceptions concernant le terrorisme et les migrations, élargir le dialogue à la sécurité et au désarmement. Sans le dire expressément, il s’agira aussi de reprendre le dialogue que l’UEO avait structuré avec ces pays. Il a été difficile d’aller au-delà de ces pétitions de principe et d’envisager des mesures concrètes, tant la situation régionale s’y opposait.
En bref, le processus de Barcelone de l’Union européenne ne peut revendiquer de bilan sur la sécurité et la défense. Il est cependant acquis, et ce n’est pas négligeable d’un point de vue conceptuel, que ces deux domaines font partie de la politique méditerranéenne de l’Union.
L’OSCE
Depuis sa création en 1973, l’OSCE a tenté de diffuser son modèle de « Mesures de confiance et de sécurité » (MDCS) dans son environnement géographique immédiat. Elle a donc progressivement tissé des liens institutionnels avec, entre autres, plusieurs « partenaires méditerranéens pour la coopération » : l’Algérie, l’Égypte, Israël, la Jordanie, le Maroc et la Tunisie. En 1994, la réunion des chefs d’État et de gouvernement à Budapest a créé un « groupe de contact » dont le but est d’entretenir des relations d’experts entre l’Organisation et ces partenaires. L’année suivante, la décision était prise de convoquer des séminaires méditerranéens annuels qui pourraient porter sur les trois dimensions de l’OSCE : politico-militaire, économique, humaine.
La charte pour la sécurité européenne (Istanbul 1999) regroupe ces activités un peu dispersées en un ensemble plus cohérent. Elle affirme que la stabilité en Méditerranée est d’une importance croissante pour l’OSCE et que la sécurité des partenaires méditerranéens est interdépendante avec celle des membres de l’Organisation. Elle prévoit aussi que les séminaires annuels et les réunions du groupe de contact puissent être exploités pour mettre en place des structures et mécanismes méditerranéens portant sur l’alerte précoce, la diplomatie préventive et la prévention des conflits. Il est encore trop tôt pour mesurer les effets de ces déclarations qui paraissent cependant quelque peu volontaristes.
Le dernier séminaire méditerranéen s’est tenu à Portoroz, en Slovénie, les 30 et 31 octobre 2000. Il a permis d’étudier les conditions d’une éventuelle transposition des MDCS à l’ensemble du Bassin méditerranéen. Le caractère encourageant de ses travaux a permis à la présidence autrichienne d’innover en organisant, le 26 novembre, une réunion des ministres des Affaires étrangères des partenaires méditerranéens. L’ordre du jour portait sur les Balkans et sur la sécurité humaine. Il n’y a pas été enregistré d’avancée décisive.
L’OSCE s’active donc fortement dans cette région. Comme celle de l’Union européenne son action est perturbée par la situation politique et militaire au Proche-Orient. En revanche, à l’inverse de l’Otan, ses modalités d’action ne sont pas différenciées en fonction de la situation et des besoins propres de chaque partenaire.
L’Otan
Le dialogue méditerranéen de l’Otan a été lancé en 1994 avec cinq membres : l’Égypte, Israël, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie, rejoints, en 1995, par la Jordanie puis, en 2000, par l’Algérie.
À l’occasion du sommet de Washington, en avril 1999, l’Otan, satisfaite des résultats obtenus jusqu’alors et pour répondre à une demande des partenaires, décidait de franchir une étape et de passer à un dialogue « renforcé ». La relation méditerranéenne de l’Otan comporte désormais deux volets distincts.
Une concertation politique est organisée par le biais de réunions annuelles en format « 19 + 1 » au siège de l’Otan. Il n’y a pas de réunion plénière. Ces dispositions sont importantes car elles montrent le souci de l’Alliance de s’adresser individuellement à chaque partenaire et de s’adapter à leurs besoins particuliers. Elles pourraient aussi expliquer que le dialogue méditerranéen de l’Alliance soit paradoxalement plutôt moins sensible que les autres au conflit en Israël. En retour, des délégations de l’Otan sont invitées dans les capitales méditerranéennes. Le but de ces rencontres est d’établir la confiance par les échanges de points de vue et de dissiper les craintes plusieurs fois manifestées par les pays du dialogue, notamment à la suite de décisions européennes comme la création des euroforces. Il permet aussi à ces pays africains et proche-orientaux d’accéder à la diplomatie multilatérale et d’entrer en contact avec les grands acteurs de la politique internationale, qu’ils n’auraient que peu de chance de rencontrer autrement.
Militairement, pendant plusieurs années quelques rares activités ont ponctué ces relations, mais, sous l’impulsion du sommet de Washington, l’Otan a pris le parti de mieux les structurer. Elle se servit alors des méthodes éprouvées du Partenariat pour la paix : auto-différenciation des partenaires par rapport aux objectifs politiques, progressivité de leurs efforts, offres combinées de l’Otan et des Alliés. L’année suivante, en 2000, des domaines entiers de coopération ont été proposés aux Méditerranéens : recherche et sauvetage (SAR), sécurité maritime, évacuation sanitaire et action humanitaire. Dans un premier temps, il s’agissait uniquement de cours et de séminaires, mais, à partir de 2001, une étape supplémentaire sera franchie : un programme structuré d’exercices et d’entraînement sera proposé aux partenaires.
La coopération s’appuie également sur le domaine opérationnel. L’Égypte, la Jordanie et le Maroc ont été, ou sont présents, dans la Sfor en Bosnie-Herzégovine et dans la Kfor au Kosovo.
Les Alliés ne sont pas intéressés de la même manière à cette politique méditerranéenne et il est naturel que ceux du Sud de l’Europe (Espagne, Italie, Portugal, Turquie) y soient plus sensibilisés que ceux du Nord. Néanmoins, ils soutiennent tous politiquement cet engagement. La France, pour sa part, cherche à éviter une extension de la zone d’intérêt de l’Alliance et voit, sans doute, d’un assez mauvais œil l’intrusion de l’Otan dans des pays africains auprès desquels elle est traditionnellement très engagée.
* * *
En conclusion, il est clair que l’expérience, le pragmatisme et le souci du « sur mesure » de l’Otan lui procurent un avantage certain, d’ailleurs vérifié dans les faits. En revanche, à long terme, il est possible que les objectifs politiques et les ressources budgétaires de l’Union européenne finissent par exercer une certaine séduction.
20 décembre 2000