Amérique - L'avenir incertain d'Haïti
Jean-Bertrand Aristide retrouve, après avoir pris ses fonctions le 7 février, son fauteuil de chef de l’État haïtien. Ce retour était annoncé après les résultats des élections législatives du 21 mai et du 9 juillet 2000, caractérisées par la forte poussée du mouvement politique de Jean-Bertrand Aristide, « Lafanmi Lavalas » (la famille Lavalas) qui emporta la majorité absolue des sièges au Parlement. L’investiture de Jean-Bertrand Aristide apparaît à beaucoup comme une revanche sur les années mouvementées de son premier mandat, largement vidé de sa substance, au début des années 90.
À l’époque, le père Jean-Bertrand Aristide remportait, en novembre 1990, l’élection présidentielle avec 67 % des voix, en se présentant comme le candidat des pauvres d’Haïti, qui constituent la majorité de la population haïtienne. Cette accession au pouvoir semblait annoncer des « lendemains qui chantent ». Elle intervenait après la période très instable, comprise entre le départ forcé de Jean-Claude Duvallier, « Baby Doc », président à vie, en février 1986 et l’élection présidentielle de 1990.
En quatre années, les généraux Henry Namphy et Prosper Avril, et le civil Jonnassaint, s’étaient succédé au pouvoir alors même que des troubles sanglants, comme le massacre perpétré à Jean Rabel, ville du département du Nord-Ouest en 1987, renforçaient la défiance à l’égard de la communauté internationale, dont les pressions permirent la tenue d’élections libres.
Le Père Jean-Bertrand Aristide, investi le 7 février 1991, devait très vite s’attaquer à certains privilèges ou abus. Il préparait la suppression pure et simple, des forces armées d’Haïti, alliées de la dynastie de la famille Duvallier, au pouvoir entre 1957 et 1986 ; une nouvelle police civile devait être créée. Devant ces orientations politiques « inacceptables », un coup d’État était organisé le 29 septembre 1991, avec l’appui des milieux duvalliéristes, par le général Cédras, chef d’état-major des forces armées qui devint de facto, chef de l’État.
Le président Aristide quittait son pays et s’installait aux États-Unis, d’où il menait une campagne politique extrêmement efficace sur la scène internationale en faveur d’un retour de la démocratie en Haïti. Cette action devait conduire au débarquement en Haïti d’une force multinationale, essentiellement composée de 20 000 Marines, en septembre 1994, garantissant le rétablissement du président Aristide dans ses pouvoirs constitutionnels, le 15 octobre 1994.
Élu pour cinq ans au suffrage universel direct, le président d’Haïti ne peut postuler que pour un maximum de deux mandats, non consécutifs. Cette disposition constitutionnelle explique son retrait au terme de son premier mandat, en février 1996, après être parvenu à faire élire un de ses protégés, René Préval, candidat officiel du mouvement Lavalas et ancien Premier ministre.
Pour la première fois dans l’histoire d’Haïti, un président démocratiquement élu, René Préval, succédait à son prédécesseur élu dans les mêmes conditions.
Depuis 1996, Jean-Bertrand Aristide a cherché à assurer son retour à la tête de son pays en 2000. Pour y parvenir, après s’être attaché la fidélité du président Préval, il a créé un parti, « Lafanmi Lavalas ».
La vie politique d’Haïti a été dominée, ces dernières années, par plusieurs forces : « la plate-forme Lavalas » réunissant l’Organisation du peuple en lutte (OPL), le Parti « Louvri Baryé » (PLB) et le « Mouvement d’organisation du pays » (MOP). « Lafanmi Lavalas », dès 1997, a obtenu une forte représentation dans les Assemblées.
L’opposition pour sa part, est éclatée en plusieurs courants : une tendance de gauche, non-Lavalas, composée de trois partis : la « Konvansion Inité Démocratik » (KID) ; le « Congrès national des mouvements démocratiques » (Konakom) ; le « Parti nationaliste progressiste révolutionnaire », (Panpra). En s’alliant à deux autres mouvements très minoritaires, « Génération 2004 » et « Ayiti Kapab », ils ont constitué « l’Espace de concertation » ; une opposition de droite avec le « Mouvement pour l’instauration de la démocratie en Haïti » (MIDH), et le « Rassemblement des démocrates nationaux progressistes » (RDNP) ; enfin, nous assistons depuis quelques années à une poussée des forces politiques de tendance religieuse comme le « Mouvement chrétien pour la nouvelle Haïti ».
Malheureusement, le débat et la pratique politique se sont petit à petit dégradés, cette dérive étant parfaitement visible durant les élections de l’année 2000 : les retards pris dans leur préparation ; les graves incidents politiques tels l’assassinat d’un journaliste, symbole de la lutte contre la dictature, Jean Dominique, le 3 avril 2000 ; l’incendie du siège de l’opposition par des partisans de Jean Bertrand Aristide, ont illustré cette situation de violence.
Le premier tour des élections législatives, en mai 2000, s’était néanmoins, déroulé de manière satisfaisante. Malheureusement, l’erreur flagrante dans le décompte des voix obtenues par les candidats à l’élection sénatoriale, dénoncée par les observateurs de l’Organisation des États américains (OEA), a accéléré la dégradation de la situation politique notamment en raison du refus de « Lafanmi Lavalas » d’en tenir compte. Les résultats erronés des élections ont, malgré tout, été publiés officiellement par un conseil électoral, affaibli après le départ de trois de ses membres sur un total de neuf. Le second tour des législatives se tenant malgré tout le 9 juillet 2000, a permis à « Lafanmi Lavalas » de remporter une nette victoire, avec une majorité comptant 72 députés sur 83, et 18 sénateurs sur les 19 sièges soumis à renouvellement.
L’opposition, incapable de désigner un candidat consensuel et un projet de programme commun, a maintenu son appel au boycott des élections. La mission de médiation de l’OEA ne parvenait pas, pour sa part, à concrétiser un dialogue entre « Lafanmi Lavalas » et l’opposition.
L’élection présidentielle s’est tenue aux dates prévues : précédée d’une vague de violence, marquée notamment par une dizaine d’attentats à la bombe à Port-au-Prince. Elle a vu l’élection programmée de Jean-Bertrand Aristide. Opposé à six candidats inconnus, il a obtenu 92 % des suffrages exprimés. Selon les médias haïtiens et étrangers, le taux de participation réel aurait été de 20 à 30 % (en raison d’un climat de terreur maintenu par les partisans de « Lafanmi Lavalas »), ce qui n’a pas empêché le Conseil électoral provisoire d’annoncer 60,5 %, chiffre non reconnu par la communauté internationale.
Depuis le 7 février 2001, jour de son investiture, le président Aristide contrôle la totalité des rouages de l’État et du Parlement. Son élection reste entachée d’irrégularités évidentes qui conduisent la communauté internationale à attendre des signes de bonne volonté de sa part, en particulier d’ouverture envers l’opposition et la société civile. L’aide au développement, primordiale pour Haïti, améliorerait une situation économique et sociale catastrophique : 85 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté ; le taux de chômage est de 80 %, tandis que le taux d’analphabétisme est de 77 %. Le revenu moyen per capita varie entre 300 et 400 dollars.
Haïti est le seul pays d’Amérique des Caraïbes à être classé parmi les moins avancés. Durant l’année 2000, la situation s’est encore détériorée : ralentissement de la croissance (1,2 %), augmentation de l’inflation (14 %, après 8,3 % en 1998 et 9 % en 1999) ; gestion budgétaire moins rigoureuse ; insuffisance de l’effort fiscal ; autant d’éléments qui laissent peu d’espoirs à une amélioration prochaine de la situation.
Celle-ci exige des décisions politiques claires et rigoureuses que les conditions du retour au pouvoir de Jean-Bertrand Aristide rendent hypothétiques. En effet, le risque d’une dérive clientéliste dans l’exercice exclusif d’un pouvoir détenu par un président élu dans des conditions non satisfaisantes et une force politique en position de domination absolue, font craindre le pire à un pays pauvre, dont la première victime reste le peuple. ♦