Méditerranée - Le partenariat euroméditerranéen, vu du Maghreb
Incitée par le sommet de Marrakech et la naissance de l’Union du Maghreb arabe (UMA) en 1989, l’Europe avait en 1992 émis l’idée d’un « partenariat euromaghrébin » à l’appui de cette coopération régionale naissante. Les avatars de l’UMA ont rendu caduque cette tentative d’individualisation du Maghreb, au grand regret de Bruxelles qui aurait préféré traiter avec un interlocuteur unique. C’est donc en ordre dispersé que les Maghrébins continuent à gérer une relation d’intensité fort variable et pour certains, non encore aboutie, avec l’Union européenne (UE).
Cette offre, élaborée pour le seul Maghreb, a été rendue accessible à tous les partenaires méditerranéens (1) en 1994 sous le vocable de « partenariat euroméditerranéen » officialisé à la conférence de Barcelone (novembre 1995). La mondialisation de l’économie invite l’UE à se positionner comme pôle régional de développement en préparant ses partenaires à aborder une compétition qui s’annonce rude. La signature d’un accord bilatéral d’association vaut approbation formelle du programme de travail arrêté à Barcelone.
Quelle suite les cinq États ont-ils donné à cette initiative ?
La Mauritanie est restée en marge. En effet, intégrée dans le groupe des ACP, elle y bénéficie d’avantages (Stabex, Sysmin) et d’une aide majoritairement composée de dons plus conformes à ses besoins. Dès 1995 elle a été conviée et participe aux réunions en tant qu’observateur.
Le cas de la Libye est différent. N’ayant jamais conclu le moindre accord avec Bruxelles elle n’a pas été invitée à Barcelone, mais dès 1996, l’UE lui a manifesté sa disponibilité dès lors qu’elle serait lavée des accusations de terrorisme pesant sur elle. La promesse fut tenue par la conférence de Stuttgart (avril 1999) qui lui proposa une pleine participation et le statut d’observateur en attendant. Même si elle a depuis renoncé officiellement au terrorisme (2), la Libye reste gênée par l’inclusion d’Israël dans le partenariat et par sa propre gestion interne, mouvante et opaque, aux antipodes des exigences du processus. Son adhésion équivaudrait à une véritable révolution culturelle. Cherchant à se réinsérer dans la communauté internationale, le leader libyen aurait apprécié une visite officielle à Bruxelles que M. Prodi, sans doute imprudemment avait fait miroiter. Par dépit, il a dénoncé le partenariat comme une entreprise de division de l’Afrique. L’absence de la Libye — 1 000 kilomètres de côtes, grand fournisseur de pétrole à l’Allemagne et à l’Italie — créerait un vide dans le dispositif méditerranéen de l’UE. Aussi, est-il accordé un délai de réflexion à ce partenaire virtuel, dont la venue surprise à la conférence de Marseille a étonné.
Quant au Maghreb central, il se situe dans le sillage de l’UE depuis son indépendance, et avec Barcelone se met en place une troisième génération d’accords. Après des liens purement commerciaux (1969) étoffés par une coopération économique et financière (1976) le partenariat proposé en 1995 est plus ambitieux concernant l’économie (zone de libre-échange en 2010), mais aussi le politique et le culturel.
Le Maroc, l’Algérie et la Tunisie viennent de prouver à l’occasion de la conférence de Marseille leur attachement à ce processus pour lui-même, indépendamment des aléas de la paix au Proche-Orient. La nostalgie qu’ils manifestent tous pour « le 5 + 5 » semble toutefois indiquer une préférence pour une concertation dans une enceinte où ils occupent une position centrale. Sans doute, ont-ils commis une erreur en ne saisissant pas l’offre de partenariat euro-maghrébin.
Cela dit, cet attachement ne va pas sans critiques, qu’ils ont énoncées d’abord à Lisbonne (3) puis lors d’une mission d’écoute dépêchée par Paris, avant la réunion de Marseille. En effet dans la logique de l’UE, l’économie de marché, la démocratie et le bon voisinage vont de pair pour déboucher sur une région stable, prisée des investisseurs et associant des partenaires performants et fiables. L’insistance de l’Europe à proportionner le volume de l’aide à l’accomplissement de ces réformes les irrite dans son principe. N’ayant pas vocation à entrer dans l’UE, ils demandent à être traités avec plus de souplesse que les futurs membres. Mais au fond, le courage politique nécessaire pour venir à bout des avantages acquis peut se trouver renforcé par l’aiguillon de l’UE, la pression extérieure pouvant même être invoquée pour faire accepter des mesures impopulaires.
Unanime aussi est la requête d’une aide accrue. Au-delà des crédits Meda (4) — dont la gestion est en voie de rationalisation — les Maghrébins voudraient voir l’UE porter un vrai intérêt au financement de leur développement. Ils invoquent l’argument de l’excédent commercial quasi structurel retiré par l’UE avec laquelle ils font 65 à 70 % de leurs échanges. Jusqu’ici, les Conseils économiques et sociaux s’étaient bornés à en débattre de façon académique. À Marseille, ils ont été entendus : désormais, les ministres des Finances participeront au dialogue économique.
Autre facette du partenariat créant un malaise certain, celle relative à l’état de droit. Très attachée au respect de ces règles (art. 2 des accords), l’UE refuse pourtant le risque de déstabiliser les États en exigeant une application rapide et brutale, et pratique l’incitation, au plus la dissuasion. Cependant, le poids croissant des ONG et du Parlement européen ont conféré plus de notoriété à ces problèmes quand les États préféreraient rester dans la discrétion… Enfin, les Maghrébins, sans y croire, demandent la libre circulation des personnes. Là encore, à Marseille, a été programmé un vaste examen contradictoire des dossiers.
Ces réactions communes émanent de partenaires parvenus à des stades très différents.
La Tunisie fait figure de pays pilote. Première signataire d’un accord (juillet 1995), elle est la plus avancée dans son exécution qui se présente sous de bons auspices : 600 entreprises déjà mises à niveau ont vu leurs performances améliorées, les initiatives de développement économique progressent, et ce zèle lui a valu un bonus de 100 millions d’euros sur sa part initiale de crédits Meda. Elle aborde la troisième phase de démantèlement tarifaire qui risque d’affecter les productions locales et mérite donc la plus grande attention.
Le Maroc, « un arbre dont la sève est africaine, mais dont le feuillage palpite au vent de l’Europe » selon Hassan II, reste en 2000 fidèle aux demandes symboliques d’adhésion à l’UE émises dès 1984 et se veut « à la frange de l’adhésion ». Signataire en février 1996 de l’accord d’association, il a œuvré au succès de la conférence de Marseille. Il n’en défend pas moins vigoureusement ses intérêts (pêche, agriculture) et souhaite une augmentation des crédits affectés à la reconversion du Rif, entreprise à la suggestion de l’UE.
L’Algérie a l’habitude de mettre en avant sa spécificité. Déjà en 1962, elle avait préféré prolonger, de façon acrobatique, les avantages découlant de son statut de département français, plutôt que de se lier à l’Europe, donc au camp occidental. Aujourd’hui, il existe à Alger la volonté de faire aboutir les négociations entamées en 1994. Exercice difficile, car passer d’une économie de rente centralisée à une économie productive libérale exige des conditions, notamment une vision bien maîtrisée de la reconversion à conduire et de ses implications ; conditions qui ne semblent pas remplies. Pourtant il est urgent de rénover un potentiel industriel qui tend à devenir obsolète, et ne pas tout faire reposer sur l’exploitation de ses ressources énergétiques. En exportant 95 % de son gaz et 52 % de son pétrole en Europe, l’Algérie peut revendiquer quelques aménagements aux principes du partenariat, mais ne peut sans doute pas refuser tous ces derniers.
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L’exigence de modernisation commence à être bien perçue au Maghreb même si chacun progresse à son rythme, parfois lent ; mais pour constituer une entité régionale, la confiance fait encore défaut. Confiance des Maghrébins entre eux, qui libérerait des synergies, confiance vis-à-vis de l’UE qui, de crainte d’ingérence, se borne au rôle de catalyseur, alors qu’elle pourrait faire plus et mieux pour ses voisins, en les pressant de dépasser leurs divergences. ♦
(1) Outre le Maghreb, l’Égypte, la Jordanie, la Syrie, le Liban, Israël, la Turquie, Malte, Chypre et l’Autorité palestinienne.
(2) Déclaration Italie-Libye du 2 décembre 1999 signée par Kadhafi lui-même.
(3) Réunion des ministres des Affaires étrangères, mai 2000.
(4) Mesures d’accompagnement financières du partenariat euroméditerranéen. Meda 2 (2000-2006) s’élèvent à 12,75 milliards d’euros dont 5,35 en dons et 7,4 de prêts bonifiés de la BEI. Chypre, Israël et Malte ont été exclus de ces mesures, leur niveau de vie étant jugé suffisant.