Un siècle de guerres
Qualifié par une partie de la critique anglo-saxonne de « plus important historien moderne spécialiste de la guerre et de ses conséquences politiques » Gabriel Kolko, auteur de dix livres offrant des explications de la Seconde Guerre mondiale et de la politique internationale, ainsi que de la guerre du Vietnam s’efforce ici de présenter une synthèse globale de ce siècle de guerres. L’ouvrage est écrit d’une plume alerte et concise, ni trop chargé de citations ou de chiffres au point de virer souvent à une certaine abstraction voire à un excès de généralisation. Il décrit la préparation des guerres, c’est-à-dire le point de vue des dirigeants pour en tirer la conclusion générale que ceux-ci se sont toujours trompés sur l’ampleur, la durée ou le coût des hostilités.
Presque toujours les choses ont mal tourné, conclut l’historien. Il s’étend sur la disparition de la caste des guerriers, à la Ernst Jünger, tout en brossant un tableau des différents cas nationaux d’où il apparaît — est-ce une nouveauté — que c’est en France que le corps des officiers fut le moins lié aux classes supérieures. Que l’organisation et la gestion des guerres soient apparues difficiles voilà un autre truisme, pas seulement pour les spécialistes, historiens, militaires ou économistes. La guerre au XXe siècle a profondément transformé les sociétés européennes du fait de ses répercussions financières sur les populations, ses incidences sur les classes sociales, les syndicats. La Première Guerre a permis l’émergence de la gauche, la Seconde a bouleversé les modes de vie des sociétés européennes. Certes, l’ouvrage contient des chapitres sur la guerre civile grecque ou celle des Philippines, sur les guerres en Chine ou en Asie du Sud-Est, comme sur les dilemmes américains quant à l’utilisation de la force de 1953 à 1999. À trop embrasser en moins de 500 pages, on frise, en maints endroits, les généralités : « les conséquences des guerres sur les phénomènes de changement dépendant du contexte social global de chaque pays ». Les guerres ont des conséquences démographiques désastreuses dans les pays où l’on force les populations à des migrations, car elles en modifient le caractère social, non seulement les guerres touchent-elles plus de monde, mais elles deviennent aussi plus coûteuses et nécessitent davantage de ressources matérielles.
En définitive, je me demande à qui cet ouvrage au titre éloquent est destiné : aux étudiants ou aux élèves officiers, qui en quelques pages pourront emmagasiner bien des données reçues, ou aux différents polémologues et stratèges dont bon nombre risquent de rester sur leur faim. Que le XXe siècle ait été celui des guerres les plus massives, destructrices, coûteuses qui ne le sait ? C’est, au-delà d’une description, fort pertinente et passionnante au demeurant, à une tentative d’explication globale des guerres qu’il aurait fallu s’appliquer, au risque de tenter de dépasser la trop fameuse maxime clausewitzienne. Ou alors on aurait aimé recevoir plus d’informations concrètes de durée, coût, conséquences économiques, répercussions sur les techniques (invention du radar, de la sociométrie de J.-L. Moreno, du PERT…). Phénomène total, la présentation critique et raisonnée des guerres du XXe siècle attend son collectif d’auteurs. Gabriel Kolko n’en a brossé qu’une esquisse. ♦