La mondialisation culturelle. Les civilisations à l'épreuve
On parle beaucoup de la mondialisation, perçue principalement dans le domaine économique ou sous l’angle géopolitique. Plus rares sont les réflexions et encore plus les écrits consacrés aux aspects de la culture de la civilisation de ce phénomène dominant l’ère nouvelle. Certes, il y eut, en son temps, l’analyse d’un Samuel Huntington qui mettait l’accent sur la guerre des cultures, mais au-delà de sa richesse et de son côté stimulant cette vision paraissait tout de même réductrice.
Gérard Leclerc, philosophe, sociologue, maître de recherches au CNRS se veut plus pédagogue et modeste. Il décrit, tout d’abord, chose somme toute bien classique, le processus d’apparition, au cours des trois derniers siècles sous l’empire des grandes découvertes, du progrès des techniques et de l’accélération des communications d’un monde unique, mais non unifié, mettant ainsi fin à l’isolement des empires, des civilisations, des cultures nationales et régionales. Le fait que notre monde a été ainsi unifié, rétréci, est dû, bien entendu, à l’action de l’Europe qui est allée porter sur les cinq continents le flambeau de la modernité. Nous le savions, mais ce qu’il démontre avec force exemples c’est que les autres grandes civilisations : chinoise, indienne, musulmane n’ont prêté guère d’attention à l’extérieur. Rares sont les analyses intellectuelles, les œuvres produites par ces trois grandes civilisations qui portent sur d’autres espaces culturels, ou si c’est le cas ce ne le fut que tardivement en réaction à la pénétration européenne. Le regard porté par l’Europe sur l’extérieur a certes été le plus souvent « dominateur », mais il a créé des disciplines scientifiques qui, au terme d’un processus de maturation, ont atteint l’universel. L’expédition d’Égypte a ainsi enfanté l’islamologie. Les jésuites ont créé la sinologie, la recherche des racines indo-européennes a donné naissance à la linguistique comparative.
La nouveauté de notre époque c’est que désormais l’histoire est emportée dans un courant unificateur. Ce qui avait été perçu comme une « histoire universelle » par de grands esprits comme Toynbee ou Braudel est devenu réalité. Jusqu’à une époque récente (1945, 1955, Bandung qualifié jadis par Senghor de plus important événement depuis la Renaissance, 1989, 1990-1991 ?) l’histoire n’a été que la lutte des groupes, des tribus, des ethnies, des empires, des civilisations… Avec l’ère de la mondialité (a global world) le temps du monde fini, perçu par Valéry, peut enfin commencer. Cette mondialité culturelle perçue jadis avec fulgurance par un André Malraux avec son Musée imaginaire ou un Jean-Louis Borgès avec sa Bibliothèque de Babel n’apparaît plus désormais comme une modernité exogène. Elle n’est pas pour autant incompatible avec le pluralisme culturel. Tout ce qu’elle implique c’est l’existence, pour la première fois dans l’histoire, d’un temps mondial unique, phénomène analysé avec force par Zaïki Laidi, d’une planète synchrone. Si l’histoire du monde et des hommes est désormais unique, le temps des traditions n’est plus celui de l’histoire. La seule valeur à la fois religieuse, éthique et politique qui soit susceptible de devenir universelle, c’est la tolérance qui ne désigne pas autre chose que la reconnaissance de l’autre en tant que tel ; non seulement de son existence, mais de sa valeur et de ses valeurs. La distance reste grande à parcourir pour atteindre cet idéal tant les grandes religions ne sont pas en mesure d’abandonner leur quête d’universalité. Ce livre agréable à lire, instructif, ne correspond pas en définitive en l’espoir que l’on avait placé en lui. Plus qu’une analyse serrée et documentée de cette mondialité culturelle dont il fait l’économie (Hollywood, naissance de multinationales des médias, homogénéisation des valeurs, transmissibilité immédiate des données, ère du susceptible de reléguer les formes d’expression plastiques au magasin des antiquités…), l’auteur nous décrit le contact et le dialogue des cultures, sujet certes passionnant mais fort balisé. ♦