La population européenne et ses problèmes
Des sommités se sont réunies en colloque en décembre 1999, car que peuvent faire des sommités, sinon se réunir en colloque ? Il y avait là des excellences, des immortels et des universitaires. Comme on était en hiver, la séance a eu lieu à Paris, on ira à La Baule à la belle saison. Cessons de plaisanter, car l’objet du débat est de caractère gravissime. Il s’agit de la situation et de l’évolution de la population européenne et le constat est accablant, bien qu’il n’ait rien d’une révélation et que le dernier des citoyens aurait mauvaise grâce à faire semblant de le découvrir, même si médias et gouvernants pratiquent la « politique de l’autruche » en ignorant superbement l’affaire.
On ne s’étonnera pas que le recteur Dumont enfourche son cheval de bataille. Avec la compétence et le dynamisme qu’on lui connaît, il a tôt fait de rappeler les données du problème : la baisse de la natalité, dont les motifs (de la contraception au prolongement de la scolarité féminine) sont bien connus, et qui se poursuit avec « une régularité linéaire » ; le fait que les pays traditionnellement prolifiques jusque dans la décennie 70, comme l’Irlande ou les États méridionaux, « suivent désormais le mouvement à un rythme accéléré » ; en conséquence, une diminution globale de 1 % par an et l’incapacité de procéder au simple remplacement des générations. En un siècle, la population européenne est passée de 25 % à 11 % du total mondial.
Sans prétendre détailler toutes les interventions, on ne saurait passer sous silence celle d’Évelyne Sullerot. La sociologue estime qu’on ne réveillera pas les héritiers de mai 1968 par l’évocation de dangers futurs, mais bien par celle de menaces à court terme, alors que la pensée unique affuble le terme de « famille » d’une connotation ringarde « opposée comme un épouvantail à la libération des mœurs ». Or, devant la nécessité et l’urgence d’agir qu’elle met en évidence, il règne, remarque Roland Hureaux, un « silence assourdissant » au sein des institutions européennes. Pas une seule des 23 directions de la Commission, aucune des 17 commissions permanentes du Parlement, ne s’occupe du sujet, sinon pour évoquer « le sort des enfants au Guatemala » ou pour « mettre à l’index la SNCF en raison des réductions qu’elle accorde aux familles nombreuses ». En un mot, une « philosophie inavouée » se résigne à la chute et prépare tout au plus « une entreprise de soins palliatifs pour continent moribond » perdant un quart de son effectif à chaque génération. Certes, voici que surgissent en France des velléités, mais c’est essentiellement pour faire porter l’effort pour ouvrir des crèches permettant de se débarrasser dès potron-minet d’une marmaille encombrante et de partir s’épanouir dans des activités professionnelles jugées plus valorisantes que les travaux ménagers. En fait, on s’est surtout attaché jusqu’ici à favoriser les formules dites « alternatives » et à « hâter le vote du Pacs à marche forcée ».
On ne peut évidemment traiter la question sans aborder celle de l’immigration, phénomène devant lequel les partis politiques gênés vont d’hésitations et de virages en surenchères. Les effectifs à retenir dépendent des définitions et des limites adoptées. Dans l’acception la plus large, l’estimation porte pour la France sur un total d’environ 10 millions de personnes « d’origine étrangère », fournissant le quart des naissances. Pierre Merlin revient opportunément sur les notions trop souvent confondues d’intégration et d’assimilation. Il relève que de multiples et successives « politiques de la ville », sans être inutiles, n’ont pas apporté de véritable solution.
De toute façon, l’apport de l’immigration, freinée désormais partout en Europe jusqu’à ne plus donner lieu, selon Jean Thumerelle, qu’à des flux relativement modestes, ne parvient pas à bloquer la tendance au vieillissement, dont les nombreuses conséquences économiques et sociales, mais aussi psychologiques dans toute l’« Europe ridée », sont exposées sans fard par Gérard Lafay. L’illustration de la quatrième de couverture vaut un long discours et la citation finale empruntée à Bruno Frappat résume la situation de façon mordante. Les auteurs ne croient pas à des relations rigoureuses entre natalité et niveau économique, pas plus qu’à l’existence de « cycles » ; les motifs du baby-boom, commencé paradoxalement en pleine guerre, et ceux du baby krach restent largement obscurs. Si nos experts réclament, pour faire face aux scénarios catastrophes, une politique volontariste et globale dépassant le seul aspect de la dénatalité, ils font aussi appel aux ressorts moraux ; en voici un qui va jusqu’à parler d’« amour » et un autre qui prétend « remettre les Français au travail »… Programme électoralement périlleux : vox clamantis in deserto ? ♦