Lors du dernier Conseil ministériel tenu par l'OSCE en novembre 2000, la Russie s'est livrée à une critique en règle de celle-ci en l'accusant de privilégier les activités relatives à la dimension humaine par rapport à toutes les autres ainsi que de limiter arbitrairement ses opérations aux territoires de l'ex-URSS, de l'ancien bloc soviétique et des Balkans. Refusant également d'admettre que les promesses faites en 1999 par Boris Eltsine (retour de la Mission de l'OSCE en Tchétchénie, retrait des troupes russes de Géorgie et de Moldova) n'avaient pas été honorées, Moscou s'opposa à l'adoption d'une déclaration ministérielle finale. Révélateur de l'existence à l'OSCE d'un « malaise russe », ce comportement est en fait celui d'un pays mortifié de constater que son crédit au sein d'une institution jusque-là fort prisée n'est plus que marginal. Il est celui d'une nouvelle équipe dirigeante qui, avec Vladimir Poutine, tient à réaffirmer haut et fort les fantasmes d'une Russie nostalgique de son statut de superpuissance.
L'OSCE face aux critiques de la Russie de Vladimir Poutine
À la fin de l’année 2000, la Russie de Vladimir Poutine se manifesta par un coup d’éclat, resté cependant peu médiatisé et analysé, en torpillant les travaux du Conseil ministériel annuel de l’OSCE. Après deux jours de débats à Vienne, les 27-28 novembre 2000, les ministres des Affaires étrangères des 55 pays de la « Grande Europe » se séparèrent en effet sans pouvoir adopter de déclaration finale comme le veut la tradition. La responsabilité première en incombe à la délégation russe qui déposa une bonne quarantaine d’amendements de fond, généralement assez longs et critiques, au projet de texte établi par la présidence autrichienne : au vu du rejet de la plupart de ses amendements, elle s’opposa à toute déclaration finale. On se propose ici d’analyser les critiques émises par la Russie vis-à-vis des quatre volets qu’aurait dû comporter la déclaration ministérielle ; à savoir la politique générale de l’OSCE, les conflits régionaux, les défis transrégionaux affectant la sécurité de la « Grande Europe » et, enfin, le fonctionnement des institutions de l’Organisation.
La mise en cause de la politique générale de l’OSCE
Le projet de texte autrichien débutait par un volet contenant des dispositions d’ordre très général présentant l’image rituelle d’une OSCE formée d’États qui partagent les mêmes valeurs, sont confrontés aux mêmes défis sécuritaires et sont disposés à répondre à ceux-ci de façon concertée. La Russie refusa de souscrire à de telles dispositions en alléguant, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Igor Ivanov, que, depuis un certain temps déjà, l’Organisation se mouvait dans une « fausse direction ». La délégation russe formula à cet égard deux griefs précis. D’une part, l’OSCE tournait le dos à son propre concept de sécurité globale en attribuant une importance systématiquement excessive à sa dimension humaine (droits de l’homme, démocratisation) au détriment — inévitable — de sa dimension politico-militaire ainsi que de sa dimension économique et environnementale. D’autre part en critiquant toujours les mêmes pays (Russie, Bélarus, pays d’Asie centrale…), mais jamais d’autres. En limitant ses opérations exclusivement à certaines zones de la « Grande Europe » (territoires de l’ex-URSS, ancien bloc soviétique, Balkans) l’OSCE menait une politique favorisant de facto une distinction entre des États membres « objets » et des États membres « sujets ». Afin de combattre cette tendance perverse, la Russie, de concert avec le Bélarus, alla jusqu’à proposer, en pleine élection présidentielle américaine, que soit confiée à l’OSCE la tâche de mener une enquête comparative sur les systèmes électoraux de tous ses membres, sans exception, en vue d’évaluer la conformité de ces systèmes avec les critères établis par l’Organisation elle-même en 1990.
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