Gendarmerie - Gendarmerie et prospective
Par un arrêté du 18 septembre 1998, le ministre de la Défense a décidé de doter la gendarmerie d’un centre de prospective (CPGN), avec pour mission « l’étude de l’organisation et du service de la gendarmerie » (art. 2). Cette création résulte de deux prises de conscience : d’une part, la nécessité de fédérer et de développer les réflexions menées par les différents services de la direction générale de la gendarmerie, de manière à dégager des éléments de doctrine institutionnelle dans les principaux domaines d’intervention, indispensables notamment pour l’élaboration des documents de programmation pluriannuelle (comme le plan prospectif à trente ans et la loi de programmation militaire) ; d’autre part, le souci d’encourager et de tirer profit de l’ouverture de l’institution, depuis le début des années 90, sur le monde universitaire, par la mise en œuvre d’une politique d’orientation et de financement concernant la recherche appliquée (1). Il s’agit donc de mettre en commun les apports des observations et analyses effectuées par des officiers de gendarmerie et par des chercheurs universitaires, dans un dessein de connaissance de la situation actuelle et d’anticipation par rapport à des évolutions prévisibles de l’environnement social et des conditions d’exécution du service. En d’autres termes, la mission confiée au CPGN est de rassembler et de mobiliser des connaissances sur la gendarmerie d’aujourd’hui, qu’elles soient produites par des services de la direction générale ou par des centres de recherche spécialisés, pour déterminer les grandes lignes des évolutions sociétales et organisationnelles lui permettant, dans un avenir proche, de continuer d’exercer, par un effort d’adaptation et de modernisation, les tâches qui lui sont confiées par la puissance publique.
Sans interférer dans les responsabilités des autorités politiques et institutionnelles, la prospective entend constituer un des moyens d’aide à la décision, susceptible d’alimenter objectivement l’argumentaire de ceux qui, parce qu’ils sont attachés, par devoir ou par conviction, aux principes de rationalité et de modernité, s’efforcent de traquer sans relâche les conservatismes et autres immobilismes. L’un des principaux apports du management public est bien de stigmatiser les évaluations purement conservatrices et introspectives des réalités institutionnelles. À l’instar de ce que réalisent les cellules stratégiques des grandes entreprises, la nécessité d’améliorer la performance de toutes les composantes de l’institution suppose que celle-ci écoute les « signaux faibles », c’est-à-dire repère les faits et les technologies susceptibles d’entraîner, à plus ou moins long terme, des évolutions, voire des ruptures. De la même manière, il paraît souhaitable de compléter les capacités de réaction de l’institution — apporter, dans les meilleurs délais, des réponses efficaces aux transformations de l’organisation et de son environnement —, en intégrant les principales mutations tendancielles avant même d’en subir les effets les plus tangibles. Il s’agit donc de se projeter dans l’avenir, de prévoir et d’anticiper les évolutions plausibles à partir d’une vision stratégique de la situation actuelle, pour, en quelque sorte, ne pas être pris au dépourvu et devoir, tant bien que mal, essayer d’y faire face. Par ailleurs, cette démarche exploratoire semble être l’expression avant-gardiste du sacro-saint principe d’adaptabilité du service public : l’organisation et le service de la gendarmerie doivent pouvoir être adaptés, à chaque fois que la nécessité d’aménagements plus ou moins importants peut être mise en évidence, à l’évolution des besoins collectifs et des exigences de l’intérêt général. Le souci de répondre aux demandes et attentes des usagers du service public impose, sur un plan à la fois juridique et éthique, une sorte d’obligation au progrès qui revêt, dans le domaine de la sécurité des personnes et des biens, une dimension particulière, dans la mesure où il s’agit là de la mission première, fondatrice et fondamentale de l’État.
Après deux années de mise en place et de montée en puissance, le centre de prospective de la gendarmerie a engagé diverses actions d’étude et de recherche, en relation avec les principaux organismes ministériels chargés de missions analogues dans les champs de la défense et de la sécurité (comme le centre d’études en sciences sociales de la défense, l’observatoire social de la défense, l’institut des hautes études de la sécurité intérieure ou encore le centre d’études et de prévision du ministère de l’Intérieur). Le CPGN demeure une structure légère, placée sous la direction d’un haut fonctionnaire civil (actuellement M. François Seners, maître de requêtes au Conseil d’État), assisté par un secrétaire général (officier supérieur de gendarmerie) et quatre chargés d’études (deux officiers de gendarmerie et deux chercheurs recrutés comme officiers servant sous contrat). Un conseil d’orientation, constitué d’une vingtaine de personnalités civiles et militaires, a également été constitué, avec pour mission d’émettre des avis sur les actions de recherche conduites par le CPGN (définition des programmes de recherche, évaluation et diffusion des études) (2). Pour ce qui est de son activité, outre l’élaboration de notes de veille diffusées dans les services de la direction générale et la production de quelques études (notamment sur le recrutement des gendarmes), le CPGN a lancé diverses recherches, pour l’essentiel, sur l’activité de surveillance générale, la socialisation professionnelle des unités spécialisées et la question de la féminisation.
Au-delà de la mission importante qui lui est confiée, le CPGN doit s’employer à relever deux principaux défis. En premier lieu, il lui appartient de faire adhérer l’ensemble des services et formations à cette ambition prospective, qui a généralement tendance à cristalliser sur elle et sur ceux qui la défendent l’opposition de principe des tenants du conservatisme et autres formes plus ou moins insidieuses de frilosité et de résistance au changement. Aussi, s’agit-il de diffuser dans les rangs de l’institution, du sommet jusqu’à la base de la pyramide hiérarchique, une véritable culture de la prospective, notamment en mettant à la disposition des acteurs les résultats des travaux réalisés, mais aussi en instituant, parallèlement aux structures de commandement et de concertation, des mécanismes encourageant les remontées d’informations, la confrontation des expériences et l’expression des projets innovants. Pour être efficace, la prospective doit être comprise et acceptée par les membres de l’institution, ne serait-ce que parce qu’elle postule à améliorer leurs conditions de travail et de vie, tout en étant alimentée par leurs propositions et leurs réflexions, avec l’idée selon laquelle, dans l’absolu, chaque gendarme peut constituer, dans son unité d’affectation, un des capteurs du dispositif de « sismographie sociale » que le CPGN a vocation à constituer, à piloter et à développer.
En même temps que cette mobilisation interne, la « prospective gendarmique » se doit, en second lieu, de demeurer en phase avec les questionnements qui mobilisent les spécialistes des sciences sociales, ce qui plaide pour la poursuite et l’amplification du mouvement d’ouverture sur le monde universitaire. Le procédé des recherches externes (faire appel à des équipes universitaires pour réaliser des études sur des thèmes retenus comme prioritaires par l’institution) ainsi que la participation aux réunions, colloques et autres formes de confrontation des connaissances sont de nature à faciliter cette fonction de veille documentaire et scientifique dévolue au CPGN. Pour autant, il convient, là aussi, de faire preuve de plus d’ambition, voire de rationalité et de cohérence. Dans le discours qu’il a prononcé lors de l’installation du conseil d’orientation du CPGN, le 28 octobre 1998, Alain Richard, ministre de la Défense, a d’ailleurs indiqué sa volonté « de mettre chaque jour davantage la gendarmerie au service et à l’écoute du public, ce qui suppose que des voix extérieures se fassent entendre ». En ce domaine, le CPGN pourrait avoir un rôle précurseur, qu’il s’agisse, à titre d’exemple, de préconiser et d’encadrer le recours à des compétences extérieures à l’occasion des principales réflexions menées au sein de l’institution. Cependant, force est de constater que, dans l’état actuel des choses, le recours à cette forme de contribution extérieure, pourtant indissociable de la démarche prospective et encouragée par les plus hautes instances de l’État (3), ne semble guère recevoir les faveurs des responsables institutionnels de la gendarmerie. ♦
(1) Cf. F. Dieu : « Pour un développement de la recherche sur la gendarmerie », rapport pour le Centre de prospective de la gendarmerie nationale, mai 1998, 64 pages.
(2) Cf. F. Seners : « Le Centre de prospective de la gendarmerie » ; Revue de la gendarmerie nationale, n° 196, 3e trimestre 2000, pp. 53-57.
(3) Cf. Les dispositions de la circulaire et du décret du 4 mai 1999 relatifs à la participation d’enseignants-chercheurs à des missions d’expertise et de conseil pour le compte des administrations de l’État.